Il était une fois un jeune homme qui habitait dans un petit village. Partout alentour, il était connu pour n’avoir jamais eu de chance. Il aurait aimé avoir une jolie maison, une femme avec qui vivre paisiblement et des enfants. Mais il ne possédait rien de tout cela.

Semait-il des graines dans son champ ? Les corbeaux venaient toutes les lui ravir. Achetait-il un âne pour l’aider ? Celui-ci s’enfuyait. Comptait-il sur le soleil pour l’accompagner sur le chemin du bal ? Il se mettait à pleuvoir et ses beaux habits étaient tout salis. Une pierre devait-elle tomber de la montagne ? C’était précisément au moment où il passait par là.

Lassé de ce manque de chance, il s’en alla demander conseil au vieux sage qui vivait à la sortie du village. Celui-ci lui dit « Va donc voir Dieu qui vit au sommet de la montagne. Il te dira pourquoi tu n’as pas de chance et t’indiquera comment la retrouver. »

L’homme suivit les conseils du vieux sage et se mit aussitôt en chemin. Il commença à gravir la montagne couverte d’une épaisse forêt. Au pied du premier arbre se tenait un tigre si maigre qu’il ne parvenait plus à se mouvoir. L’homme prit peur mais le tigre le rassura.

  • Oh tu n’as rien à craindre de moi, dit-il tristement, voilà bien longtemps que je ne mange plus car, vois-tu, sans que je sache ni comment, ni pourquoi, j’ai perdu l’appétit. Et toi, où vas-tu donc ?
  • Je m’en vais voir Dieu qui vit au sommet de la montagne afin qu’il m’explique pourquoi je n’ai pas de chance.
  • Quand tu le verras, tu pourras lui demander pourquoi je ne puis plus rien avaler et comment retrouver l’appétit ?

L’homme promit au tigre et continua son chemin. Comme il montait, il eut envie de faire une pause et s’assit au pied d’un vieil arbre. Il se reposait quand il entendit un gémissement.

  • Qui gémit ainsi, s’enquit l’homme en se redressant.
  • C’est moi, répondit l’arbre au pied duquel il était assis.

En y regardant de plus près, l’homme vit que l’arbre n’était pas vieux mais maigrelet et souffreteux.

  • Las, dit l’arbre, je ne comprends pas pourquoi je ne parviens pas à grandir comme mes frères alentours. Regarde comme ils sont grands et beaux ! Pourquoi ne puis-je pas, moi aussi, les rejoindre là-haut ? Mais toi, où vas-tu donc comme ça ?
  • Je m’en vais voir Dieu qui vit au sommet de la montagne afin qu’il m’explique pourquoi je n’ai pas de chance.
  • Ah, quand tu le verras, demande-lui pourquoi je n’arrive pas à grandir, tu veux bien ?

L’homme promit et reprit sa route. Il monta encore un moment puis arriva devant une petite maison. Assise sur une chaise devant la porte, une jeune femme au teint pâle et aux yeux plein de larmes brodait.

  • Pourquoi pleures-tu, lui demanda l’homme.
  • Je ne sais pas, répondit la jeune femme, je sais juste que du soir au matin et du matin au soir, le même mal me ronge et me fait pleurer. Toi, où vas-tu donc comme ça ?
  • Je m’en vais voir Dieu qui vit au sommet de la montagne afin qu’il m’explique pourquoi je n’ai pas de chance.
  • Pourras-tu, quand tu le verras, lui demander la raison de mes larmes ?

L’homme promit et continua son chemin. Il arriva bientôt en haut de la montagne. Là-haut, il ne vit nul Dieu mais il raconta tout haut son problème au grand arbre qui poussait là. Quand il eut terminé, une voix forte résonna dans sa tête.

  • Je reconnais t’avoir doté de bien peu de chance jusque là. Retourne chez toi, ta chance t’attend au bout du chemin, à toi de la reconnaître et de la saisir.
  • Merci Seigneur !
  • N’as-tu rien d’autre à me demander ?
  • Si, j’aimerais savoir ce que je dois répondre au tigre, à l’arbre et à la jeune femme croisés sur ma route ?
  • Dis à la femme que ce qui lui manque, c’est un homme à aimer. Dis à l’arbre qu’un coffre empli d’or empêche ses racines de pousser, qu’il trouve quelqu’un pour l’en débarrasser. Enfin, dis au tigre que pour recouvrer l’appétit, il lui faudra manger l’homme le plus bête du monde. Va maintenant, et n’oublie pas, ta chance t’attend, sache la reconnaître et la saisir !
  • Merci, merci mon Seigneur !

L’homme redescendit la montagne en courant. Il arriva devant la maison de la jeune femme qui l’attendait.

  • Alors, alors, lui dit-elle, qu’est-ce que Dieu t’a dit ?
  • Il a dit qu’il te fallait un homme à aimer.
  • Un homme à aimer ? Mais, et si c’était toi ? Moi je t’aime déjà !
  • Mais non, mais non, je ne peux pas rester, ma chance m’attend au bout du chemin, je dois aller la retrouver !

Il reprit sa route et passa bientôt devant l’arbre qui, à son tour, s’enquit de ce que Dieu avait dit.

  • Il a dit qu’un coffre empli d’or empêchait tes racines de pousser. Il te faut trouver quelqu’un pour t’en débarrasser.
  • Mais, répondit l’arbre, ce quelqu’un pourrait être toi ! S’il-te-plaît, débarrasse-moi de ce coffre !
  • Oh non, s’exclama l’homme, je n’ai pas le temps, je dois absolument rentrer chez moi, ma chance m’attend au bout du chemin.

Et l’homme s’éloigna en courant sans laisser à l’arbre le temps de lui répondre. Il arriva bientôt à l’orée de la forêt où le tigre l’attendait.

  • Alors, lui dit ce dernier, que t’a dit Dieu ?
  • Il a dit qu’il fallait à la femme qui pleure là-haut un homme à aimer, à l’arbre qui n’arrive pas à grandir quelqu’un pour le débarrasser du coffre empli d’or qui bloque ses racines et…
  • Les as-tu aidés ?
  • Non, voyons, je n’ai pas le temps, ma chance m’attend au bout du chemin, il faut vite que j’aille la saisir ! Quant à toi, pour retrouver l’appétit il a dit qu’il te fallait manger l’homme le plus bête du monde !
  • Dis-moi, l’interrogea le tigre, comment appelles-tu un homme malchanceux qui refuse l’amour et la fortune quand ils se présentent à lui ?
  • Eh bien, c’est facile, dit l’homme, je dirais que c’est l’homme le plus bête du monde !

Alors le tigre se jeta sur lui et le dévora.