Merci à un inconnu, c’est un compte instagram et un livre qui nous parlent de notre pouvoir à tous, celui que l’on a d’aider notre prochain par de petits gestes à l’impact immense. Celui que l’on a de se sauver en sauvant, de se faire du bien en aidant. Une ode à la bienveillance, à la générosité et à l’amour de son prochain.

Qui n’a jamais ressenti ce sentiment de joie et de plénitude étonnée après avoir fait naître un sourire de gratitude sur le visage de quelqu’un ? Cette émotion, quand on lit Merci à un inconnu, on la ressent par procuration à chaque page. Un sentiment rassérénant, mélange de joie, de soulagement et de fierté à l’idée de faire partie de cette si belle humanité.

En ces temps troublés où la peur et le clivage se répandent partout, où les médias les mettent en exergue, nous les affichent en gros plan pour éclipser le reste, il est bon de se souvenir qu’une autre voie est possible. Ce n’est qu’une question de choix. Celui de s’arrêter pour observer le monde autour de soi, le regarder vraiment, voir comment y prendre part, comment y apporter un peu d’amour.

Il y a cette fable amérindienne qui raconte qu’on a tous en nous deux loups. L’un est colère, peur, avidité, arrogance et égoïsme. L’autre est joie, paix, amour, espoir, bienveillance et compassion. Lequel des deux gagnent ? Celui que l’on nourrit.

Ce à quoi nous invite Anne, c’est à nourrir notre loup joyeux en cultivant entraide et amour. Si cette invitation résonne en vous, ouvrez ce livre, laissez-vous envahir par les ondes positives qu’ils dégagent et par l’envie de reprendre le pouvoir, de choisir en conscience ce que vous souhaitez apporter au monde, votre petite pierre à ce grand édifice. Imaginez à quoi ressemblerait ce monde si nous faisions tous ça, si nous nourrissions tous notre loup d’amour plutôt que notre loup de peur…

J’ai eu la grande joie de rencontrer Anne pour parler de son livre, entre 1000 autres choses, et je suis ravie de vous confier le fruit de nos échanges, en espérant qu’ils vous mèneront jusqu’à son livre et qu’ils vous réchaufferont l’âme et le cœur.

Brunhilde : Je suis très heureuse de pouvoir échanger avec vous aujourd’hui. Pour moi, Merci à un inconnu est un compte magique en cela qu’il nous amène à voir la beauté du monde dans tout ce qu’on vit au quotidien. On évolue dans une société qui met l’accent sur le négatif or il n’y a pas que du négatif dans ce monde. Il s’y passe aussi des choses extraordinaires et votre compte démontre qu’on peut même en être acteur.

Anne Cazaubon : L’idée, avec Merci à un inconnu, c’était de créer un média politique, quelque chose de poétique qui mette l’accent sur le positif. J’ai été journaliste radio pendant 20 ans, je sais que dans les rédactions, on se frotte les mains quand un drame survient parce que c’est synonyme d’audience en hausse, je voulais montrer que contrairement à ce qu’on pense, on peut aussi générer beaucoup d’audience avec du positif. Les gens en ont envie et besoin.

B : D’où vous est venue cette idée ?

AC : Le premier inconnu, c’est un homme qui me sauve la vie sur un quai de métro. C’est lui qui m’a permis de comprendre qu’avec une phrase, un mot, un regard, une présence silencieuse, on peut être déterminant dans la vie de quelqu’un. Parce que ce jour-là, sur ce quai, lorsque cet homme est resté à côté de moi sans rien dire, j’ai vu qu’il avait vu que j’avais envie de mourir, et j’ai compris dans ses yeux qu’en fait j’avais très envie de vivre. Je suis sortie du métro, j’ai couru dans la rue et le lendemain matin à 9h j’étais chez une psy avec qui j’ai entamé un long chemin de guérison, de thérapie et de développement personnel.

B : Avant cet instant déterminant, que faisiez-vous, qui étiez-vous ?

AC : J’étais dans la mascarade absolue de ma vie, je dirais. J’avais 23 ans et à cette époque-là. Ça n’allait pas du tout à l’intérieur mais je donnais le change. Enfin, je pensais que je donnais le change mais j’avais une amie qui un jour m’avait envoyé une lettre manuscrite en me disant « t’as l’impression que tu donnes le change mais je te vois, je vois que ça ne va pas du tout. » Mais à chaque fois l’ego reprenait le dessus en disant « mais non, tout va bien, tu vas t’en sortir toute seule, tu vas t’auto-analyser et tout ira bien ».

En réalité, j’étais dans une sorte de grand abîme, de grande dépression un peu camouflé par ce rôle de journaliste. C’est-à-dire que finalement, la journaliste en moi, c’était celle qui menait l’enquête en elle. On ne se tourne pas vers ces métiers-là par hasard.

D’ailleurs, j’ai rapidement été amenée à aller travailler sur des blessures de guerre physiques et psychiques. Je tournais pour LCP des sujets sur le centenaire de 14/18, les gueules cassées et j’interviewais d’anciens soldats. Jusqu’au moment où je me suis dit que je pouvais continuer éternellement à interroger des gueules cassées sans que ça ne résolve mon problème à moi, ma gueule cassée à moi, et qu’il était temps que je commence à m’intéresser à la soldate en moi qui était un peu fracassée à certains endroits et qui avait besoin de se réparer.

À ce moment-là je travaillais sur un documentaire sur l’équithérapie pour les soldats blessés en Centrafrique et en Afghanistan et en fait c’est moi qui suis allée faire de l’équithérapie en Vendée, à côté de chez mes parents. Et j’ai pleuré, j’ai pleuré sur ce cheval qu’on pouvait monter de dos, fermer les yeux, écarter les bras, avoir confiance. L’équithérapie, ça a vraiment été un grand pan de libération et de compréhension, pour moi.

Après ça j’ai continué à être journaliste mais au fur et à mesure, je ne pouvais plus être juste sur les infos. Comme je bougeais intérieurement, évidemment l’extérieur aussi s’est mis à changer. Comme par hasard, des gens venaient me voir en me disant « je pense que tu serais super bonne pour traiter des sujets de santé ». J’ai commencé à leur parler de développement personnel, ce truc venu des US qui serait partout en France dans 10 ans mais qu’on ne connaissait pas encore, en leur disant que ça pourrait faire du bien aux gens d’apprendre à se connaître et d’éviter ainsi d’aller se fracasser dans des entreprises où ils n’ont rien à faire. J’ai donc traité ces sujets sur Europe 1, jusqu’au moment où ça s’est arrêté parce que ce n’était plus l’endroit pour le faire. À ce moment-là, je me suis dit que j’allais accompagner les gens dans cette démarche de découverte de soi et je le fais encore aujourd’hui.

B : C’est une histoire qui doit parler à beaucoup de monde. On est nombreux à avoir suivi une voie toute tracée, sans trop se poser de questions, juste parce que nos parents, nos profs ou la société nous l’avait présentée comme étant la seule possible. Et puis au final, une fois arrivée à destination, on se rend compte que rien de tout ça ne nous ressemble et qu’on ne sait pas qui on est.

AC : J’adore l’idée de dépouillement personnel, l’oignon que l’on pèle, peau après peau, pour arriver au noyau, à l’essence de nous-mêmes. Pendant un moment, je me présentais même comme une coach en développement perpétuel. Parce qu’évidemment que la vie est un apprentissage perpétuel et heureusement d’ailleurs : si on arrête d’apprendre, c’est qu’on a décidé de ne plus rien prendre de la vie.

Le terme de développement personnel est très galvaudé maintenant, il est mal interprété mais ce qui est important, c’est de reprendre la responsabilité de sa vie. Pendant longtemps, je me suis dit « je me suis plantée d’études », « si mes parents n’avaient pas fait ça, s’ils m’avaient dit ou montré autre chose », mais, et ce n’est que ma vérité, pour moi le grand déclic ça a été de reprendre l’entière responsabilité de ma vie.

J’ai adoré parler sans conscience dans un micro, j’ai adoré faire des reportages à la fin des manifs le samedi, avec les casseurs et les lacrymo, j’ai appris beaucoup, même les petits boulots d’enquête que je faisais dans la rue quand j’étais jeune m’ont beaucoup facilité les prises de micro-trottoirs, par exemple. Esquiver vent sur vent, c’était utile. J’assume pleinement toutes ces choses comme faisant partie de moi.

B : On ne sait pas forcément à quoi va nous servir ce qu’on apprend aujourd’hui mais si ça se trouve, dans quelques années, ce sera déterminant, même si c’est un boulot qu’on déteste et dont on a l’impression de ne rien retirer ?

AC : Exactement. Et vraiment, l’idée de reprendre l’entière responsabilité de sa vie, c’est très important, sinon on patauge dans la posture de victime. On se dit « ah, s’il n’y avait pas les enfants, je ferais ça », « si je n’avais pas fait ces études de maths, je serais plus heureux ». Moi, par exemple, j’aurais rêvé de faire les beaux-arts, pourtant à 32 ans, je n’avais jamais touché un pinceau de ma vie. Je n’étais pas du tout la jeune femme artiste que je voulais devenir. A 32 ans, la peinture est rentrée comme une bourrasque dans ma vie, c’est-à-dire que je n’ai pas pu faire autre chose que ça. Je sous-louais un atelier le dimanche dans le marais, j’y étais à 7h30 et jusqu’à minuit pour exploiter au maximum ma journée du dimanche en peinture.

Anne Cazaubon par @GwladysLouiset

B : Et 5 ans avant vous n’auriez pas imaginé ça ?

AC : Mais jamais !

B : Et 5 ans après, vous n’aviez peut-être plus envie de peindre…

AC : Exactement, je suis dans la sculpture en ce moment. Mais justement, ce qui est intéressant c’est de trouver son ou ses messages : s’il me restait quelques secondes à vivre sur cette terre, qu’est-ce que j’aurais envie de dire et de quelle manière ? Je peux le dire dans un micro, en peignant, en sculptant, en parlant sur scène, comme avec le Tedx. Je peux aussi le dire avec le Sweet Art, qui est mon street art bienveillant : les textopolitains ou le flying project, ces performances artistiques après les attentats, et aujourd’hui Merci à un inconnu, qui a vraiment été une fulgurance. 

B : Vous pouvez me raconter cette fulgurance ?

AC : Au début du confinement, j’ai vraiment entendu une voix dans ma tête qui me disait « Maintenant, merci à un inconnu, c’est un compte instagram », j’avais juste un compte perso et franchement, Instagram, j’aime ça mais sans plus, je n’avais aucune velléité à devenir influenceuse, mais l’intuition était tellement forte que je me suis dit « ok, je m’exécute ». J’avais déjà quelques témoignages de personnes que j’avais interviewées à la radio et à qui j’avais demandé de me raconter leurs histoires, j’avais des copines qui m’avaient aussi raconté leurs histoires et donc j’ai repris cette dizaine d’histoires-là et je les ai postées sur un compte insta avec du rose, du bleu, du violet, mes couleurs. Et les gens s’en sont tout de suite emparés.

B : C’est vrai que quand on est au bon endroit, on le ressent physiquement. Et c’est quelque chose qu’on oublie trop souvent d’écouter parce que notre monde ne nous y incite pas. On est dans le mental, le rationnel. L’intuition est vue comme quelque chose de peu fiable alors que c’est essentiel.

AC : Un de mes livres fétiches, c’est D’autres vies que la mienne, d’Emmanuel Carrère. Dans ce livre il raconte qu’il était avec sa femme dans un hôtel 5 étoiles en Indonésie pendant le tsunami de 2006. Il raconte d’abord comment le tsunami a tout ravagé, comment son hôtel est devenu un hôpital de fortune. Ensuite, il raconte comment sa belle-sœur, 39 ans et 3 enfants en bas-âge, apprend qu’il lui reste 6 mois à vivre. Et donc lui est là, et comme c’est un peu l’écrivain de la famille, il écrit.

Il mène toute une enquête sur les annonces de cancer et il explique qu’une jeune fille de 16 ans à qui on annonce qu’elle a une leucémie, elle continue de vivre sa vie, le soir elle va sur Twitch ou voir ses copains, elle fait les mêmes choses que d’habitude, parce qu’elle est à sa place. Au contraire, le type qui a 40 ans, qui apprend qu’il a un cancer du poumon, rentre chez lui et dit à sa femme « chérie, fais tes bagages, on part en voyage pour 3 mois », c’est vraiment qu’il était pas du tout à son endroit. Son enfant intérieur ne s’est pas déployé, le couvercle de la grande marmite est en train de se refermer et à l’intérieur il dit « attendez j’ai pas eu le temps de vivre, j’ai pas pris le temps de vivre ».

De la même manière, il y a la femme de 90 ans à qui on explique que dans quelques semaines ce sera la fin et qui l’accepte et celle qui dit « non non non, je ne veux pas » et qui veut absolument se faire vacciner. C’est la même chose.

B : Cette crise qu’on vit nous révèle donc si on était ou non au bon endroit ?

AC : Bien sûr. Cette crise, c’est un accélérateur à plein d’endroits, que ce soit dans les « est-ce que je suis avec la bonne personne, est ce que je suis dans le bon métier, le bon habitat ? ». Pour moi, ça exprime vraiment cette idée de l’enfant libre à l’intérieur qui est complètement cadenassé. Tout d’un coup on lui met un potentiel point d’orgue et d’un seul coup, il lève la tête de son smartphone, de son bingewatching de séries qu’il s’avale et qu’il aura oublié aussi vite, et il se demande : qu’est-ce que je fous sur terre et à quoi bon ?

Ça nous amène aussi à faire le tri dans nos relations. Je n’ai plus du tout les mêmes amis qu’il y a un an et demi par exemple, parce que c’est aussi une question de vibration. Ceux qui sont dans la peur, qui jugent ceux qui n’ont pas peur, qui surveillent si tout le monde fait bien, je ne peux plus, ça ne marche pas.  

B : On a l’impression qu’il y a 2 types de réaction face à cette crise. On pédale sur nos petits vélos depuis des années sans jamais lever la tête de notre guidon et tout d’un coup, cette crise nous dit stop, arrête-toi et ne bouge plus. Et face à ça, il y a ceux qui se disent « tiens, je vais peut-être en profiter pour m’assurer que je vais au bon endroit » et ceux qui veulent absolument se remettre à pédaler, qui n’ont pas du tout envie de réfléchir à quoi que ce soit, eux, ils veulent juste reprendre leur vie d’avant.

AC : Je l’ai vu aussi sur Merci à un inconnu. Au début, les gens m’envoyaient beaucoup de récits de voyage, ce qui se comprend, moi aussi je suis une grande baroudeuse, évidemment que je dois ma vie à plein de gens. Mais je finissais par penser que Merci à un inconnu allait devenir un mausolée consacré à nos vies d’avant, un tribute à tous nos voyages, à tous ces inconnus rencontrés au bout du monde qui nous ont aidés ou recueillis sous la mousson indienne.

Mais finalement, on est peu à peu revenu à quelque chose de plus contemporain, les gens ont commencé à me raconter des choses du quotidien, avec parfois des choses très datées qui nous feront sourire dans 10 ans. Je pense au « À vous, le monsieur qui m’avait dépanné d’un masque à l’entrée d’une boulangerie », par exemple.

Je me souviens de ce type qui a dit, au tout début du premier confinement « de toute façon on en a pour 5 ans ». Plein de gens me disaient mais non, sois optimiste. Moi je trouvais au contraire qu’être optimiste c’était regarder en face cette réalité et voir quoi en faire.

B : De toute façon, après, il n’y aura plus de monde d’avant. On ne reprendra jamais notre vie là où on l’a laissée avant la crise.

AC : Ah mais tout à fait. D’ailleurs, dans le livre je fais un manifeste pour le geste désintéressé parce que c’est militant. Pendant des années j’ai toqué à la porte des rédactions pour leur proposer de faire un journal des bonnes nouvelles et on me riait au nez en me disant « mais enfin, Anne, les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne

Moi je suis certaine que c’est tout le contraire, les gens ont besoin de positivité. Et d’ailleurs, j’ai dû recevoir environ 200 messages de gens qui me disaient « vous êtes sans conteste le meilleur compte Instagram ». Pourtant dessus, il n’y a aucun string, aucune lèvre refaite, juste de la bienveillance.

On parle beaucoup d’influence, mais c’est quoi le rôle des influenceurs aujourd’hui sur les réseaux sociaux ? Moi j’embrasse totalement ce rôle-là, cette influence-là. Et oui, certes, Balance ton porc, Me too, et tous les # de la terre (Et dieu sait qu’au quotidien j’accompagne des gens qui ont été abusés de plein de manières) mais il y a aussi de la place pour autre chose. C’est important de contrebalancer. Et j’adore partager des histoires où, pendant une agression, quelque chose se passe. Il y a un groupe de femmes qui passe et qui intervient, qui se met à hurler et ça fait fuir l’agresseur.

B : Et ça peut être nous demain, ça permet justement de réaliser qu’on peut changer la vie des gens avec de petits gestes en apparence anodins : s’asseoir à côté d’une femme dont le voisin est un peu trop insistant, donner 1€ pour dépanner la personne de devant au supermarché, faire un compliment. Quand on prend conscience qu’on a ce pouvoir-là, c’est fantastique. D’ailleurs, Merci à un inconnu, ça parle aussi des gens qui osent. Parce qu’on n’ose pas toujours faire intrusion dans la vie d’inconnus, même pour les aider. Au quotidien, chacun est dans sa sphère et s’introduire dans celle de l’autre, ça peut faire peur.

AC : Exactement. Les gens qui osent, c’est la dame qui passe en voiture en pleine nuit devant 2 jeunes sur le bas-côté, qui pile et qui fait marche arrière pour les raccompagner. C’est celui qui s’arrête dans la rue pour aider cette femme à réparer sa chaîne de vélo qui a déraillé, quitte à arriver les mains pleines de cambouis et en retard au bureau. C’est le fait de se détourner de sa trajectoire parce que la situation que l’autre vit nous interpelle. Et comme l’autre, c’est nous, c’est comme si on s’aidait nous-mêmes.

J’invite beaucoup à jouer au textopolitain, ces petits mots adressés à un inconnu qu’on dissémine dans la rue, et quand on me demande ce que j’écris, je réponds toujours « je mets le mot que j’aimerais trouver ». J’écris ce que je me souhaite, c’est ma lettre à l’univers, au père-noël, à ce que vous voulez. C’est faire pour les autres ce qu’on aimerait qu’ils fassent pour nous.

B : Là encore, je trouve qu’il y a un rapport à l’intuition. Souvent, l’intuition a envie de s’arrêter, d’entrer en lien avec l’autre, mais le mental reprend le dessus en se disant « mais non je vais leur faire peur », « et si je me fais envoyer balader » et le temps de se faire cette réflexion, l’occasion est déjà passée. Comment on dépasse ça ?

AC : En passant par l’écrit, c’est justement plus facile. Au départ, avant de distribuer des petits mots, j’allais vraiment à la rencontre des gens pour leur dire « votre robe est canon », « vous faites un joli couple » ou je ne sais quoi. Sauf que la plupart des gens enlevaient leurs écouteurs donc je devais répéter, ça perdait tout son charme. Je suis vite passée à l’écrit parce que le petit mot était moins intrusif, plus personnel aussi, personne d’autre n’entend.

Et puis il y a aussi que les gens se méfiaient, ils pensaient que je voulais leur vendre un truc. Je me rappelle d’un jour où j’avais un bouquet de tulipes que je distribuais aux femmes que je croisais dans la rue et c’était très marrant de voir les réactions des gens qui avaient un mouvement de recul et me disaient « mais quoi, qu’est-ce que vous voulez, mais c’est payant ? ». Pourtant, je leur tendais avec un grand sourire une tulipe en disant « tenez, c’est pour vous » mais ma bienveillance était mal perçue. Et ça dit tellement de choses de notre société.

C’est aussi pour ça que merci à un inconnu est une étude sociologique, une étude de comment je prends ce que la vie m’envoie parce que même dans les commentaires, quand je raconte une belle histoire, le nombre de gens qui commentent en disant « ah ben ça, c’est pas à moi que ça arriverait », ils viennent déverser leurs croyances sans réaliser qu’en l’écrivant, en le proclamant à la face du monde sur Instagram, ils s’assurent en effet qu’il ne va rien se passer. La manière dont on reçoit ce que la vie nous envoie est déterminante. Ce qu’on envoie au monde, il va nous le renvoyer.

Je trouve aussi hyper touchant certains mots que je reçois d’assistantes maternelles qui mettent en place des rituels où elles écrivent des petits mots avec les enfants qu’elles gardent et ils vont ensuite les distribuer ou les cacher dans la rue. Il y a des instits qui m’ont envoyé des mots pour me dire qu’elles avaient fait des murs de gratitude, qui racontent qu’à chaque fois qu’ils font des sorties scolaires, ils s’amusent à poser des mots un petit peu partout.

Un jour on a fait ça dans un train qu’on avait pris pour la Normandie avec mon compagnon et à l’arrivée, un monsieur qui était dans notre wagon en a trouvé un, il l’a lu et l’a montré à sa femme en lui disant « c’est quoi ce truc ? », et sa femme lui a dit « ah mais c’est ce compte que je suis, c’est génial, attends, il faut qu’on le prenne en photo ! ». Alors bien sûr je n’ai rien dit mais c’était super émouvant. Et son mec lui dit « mais qu’est-ce que je fais de ça ? » et elle lui a répondu « mais c’est ton trésor, c’est ton cadeau, c’est un message que la vie t’envoie, maintenant tu le gardes ». Enfin voilà, dans ces cas-là j’ai 5 ans, je joue au jeu de piste et je trouve ça génial.

B : C’est très révélateur, cette scène que vous racontez. D’ailleurs, vous dites que votre compte est suivi très majoritairement par des femmes, sûrement parce que des valeurs comme la bienveillance, la générosité ou encore la notion de don désintéressé sont traditionnellement associées à la féminité. Les hommes sont conditionnés à penser qu’un homme, ça fait pas des trucs comme ça, c’est peut-être pour ça qu’ils ne savent pas quoi faire de tout ça ?

AC : Mais oui, tout à fait. A une époque, je faisais des portraits dans le métro. J’adorais ça et comme en plus, dans le métro, les gens sont tous sur leur smartphone, ils ne me voyaient pas. Et un jour, dans un RER, il y avait un type magnifique, mais vraiment bad boy, à l’autre bout du wagon, je n’ai pas osé me rapprocher mais je me suis mise à le dessiner. Et quand je dessine, j’ai les sourcils froncés, je suis concentrée et j’ai vraiment une tête de killeuse. Le type m’a grillée, il s’est approché en me disant « qu’est-ce que t’as, t’as un problème, pourquoi tu me regardes comme ça ? », il était immense, j’étais toute seule dans le wagon avec plein de matériel de radio et j’ai juste dit « en fait je vous trouve magnifique et je suis en train de vous dessiner ». Et le type s’est liquéfié, il s’est assis en face de moi et il m’a dit « ah bon, c’est vrai, vous me trouvez magnifique ? Mais euh, je peux voir ce que vous avez fait, ah ouais c’est bien, et euh, je pourrais le garder après ? Attendez, je me remets comme j’étais, comme ça c’est bien ? »

C’était hyper mignon. Et donc, oui, sur ce genre de choses, c’est toujours la femme qui guide. Les nouveaux hommes arrivent tranquillement avec les quelques femmes conscientes qui sont en train de les élever mais avant qu’on les voit sur le marché du travail ou de l’amour, il va falloir attendre un peu.

B : On peut en éveiller quelques uns mais cela suppose que certaines conditions soient réunies. Pour ceux qui travaillent dans un milieu où l’esprit de compétition est omniprésent, avec des collègues ou des copains super virils, c’est dangereux de s’éveiller à tout ça parce qu’ils risquent de n’être plus adaptés.

AC : Oui, mais c’est aussi pour ça qu’un jour, ça se termine. Et quand ça se termine ça peut être un magnifique cadeau, même si on ne le voit pas forcément tout de suite. C’est ce que m’avait dit Lilou Macé, un jour où elle était venue dans une de mes émissions à la radio. A la fin on avait pris un café toutes les deux et elle m’avait dit : « je sais pas ce qu’une nana qui vibre aussi haut fait dans un endroit qui vibre aussi bas mais une chose est sûre, à un moment donné tu vas parler trop fort pour eux et d’une manière ou d’une autre, ça va s’arrêter pour toi ici. Mais c’est pas grave parce qu’il y a plein de gens qui t’attendent ailleurs. »

B : Mais Lilou a eu une histoire similaire, il me semble, non ?

AC : Tout à fait, elle travaillait dans le marketing, elle a perdu son job et elle a dû retourner vivre chez sa mère à 32 ans. Mais c’est finalement ce qui lui a permis de se lancer dans son tour du monde de la spiritualité et d’avoir aujourd’hui une chaîne Youtube suivie par des millions de gens. Elle raconte aussi une histoire très intéressante, quand sa caméra est tombée en panne juste avant sa première interview. Elle avait ouvert un bouton « donation » sur son site et ce jour-là, elle avait reçu un don du montant exact de la caméra, de quelqu’un du bout du monde qui lui avait dit « écoute, je suis une petite grand-mère, je peux pas faire le voyage que tu fais mais ça me passionne d’entendre tous ces témoignages que tu recueilles donc je t’encourage. » Ça j’adore.

B : C’est de la synchronicité pure ! J’y crois depuis peu mais depuis que j’y crois, j’en vois partout et c’est une sensation extraordinaire.

AC : Oui, c’est magnifique. Moi j’ai trouvé une soixantaine de cartes à jouer dans la rue, que je poste régulièrement sur instagram. À une époque, parce que je le décidais et que je disais à voix haute « je trouve une carte à jouer par semaine », je trouvais une carte à jouer par semaine. Des valets de cœur sur un quai de métro, des rois de trèfle sur un trottoir. Un jour j’ai ouvert la porte de mon immeuble et il y avait une carte de grand-mère sorcière juste devant moi. J’ai des amis qui me disent « mais c’est pas possible, y’a quelqu’un qui jette des cartes devant toi ». D’autres « c’est vraiment que Paris est crade » ou « c’est pas à moi que ça arriverait », d’autres encore se sont mis à en voir aussi et m’envoient des photos. Ces réactions disent beaucoup de comment on perçoit le monde.

Je me souviens quand la radio s’est arrêtée, j’ai eu quelques mois difficiles, à me dire qu’est-ce que je fais maintenant, est-ce que j’ai vraiment envie d’être thérapeute, comment je mets tout ça en place ?  Et un jour où j’avais pris un itinéraire bis pour aller à un endroit en me disant « tiens aujourd’hui je vais passer par là », là devant moi j’ai vu un petit carton avec écrit « votre voix est importante ». J’avais ma réponse…

Vous pouvez retrouver le livre Merci à un inconnu dans toutes les librairies. Le compte, quant à lui, est ici. Et si Merci à un inconnu vous parle, n’hésitez pas à rejoindre le mouvement des textopolitains. Pour cela il suffit simplement d’écrire sur un morceau de papier le mot que vous aimeriez recevoir et de le distribuer dans la rue, le métro, une boîte aux lettres, un pare-brise ou dans les rayons de votre supermarché, en attendant qu’il trouve son destinataire ou que son destinataire le trouve.

Par ailleurs, Anne Cazaubon est auteure mais également coach et thérapeute, allez faire un tour sur son site pour découvrir tous les soins et stages qu’elle propose.

Crédits photos :

Gwladys Louiset

Anne Cazaubon et Merci à un inconnu