Peut-être qu’en fait, ce qu’on vit tous ensemble depuis un an à l’échelle planétaire, c’est un immense voyage initiatique. Un voyage intérieur qui nous confronte à nos peurs, met à mal nos certitudes, interrogent le sens profond de nos vies et notre rapport à la mort.
On était bien tranquillement installés dans nos habitudes, confort, sécurité, consommation, prévisibilité, contrôle et tout d’un coup, bam, tout s’arrête. Nos certitudes s’effondrent, notre équilibre vacille, le contrôle qu’on pensait avoir sur nos vies disparaît, notre vulnérabilité se révèle et nous voilà plongés dans l’inconnu, cheminant tant bien que mal sur les chemins escarpés des monts confinement et couvre-feu, comme autant de sommets enneigés qu’il nous faut gravir à mains nues faute d’y avoir été préparés. Un voyage qui semble sans fin, plein d’entraves, de peur et de frustration.
Et si tout ça était supposé nous faire évoluer, comprendre des choses sur nous, le monde, ce qui compte vraiment ? Bien sûr, c’est compliqué, sur la route, alors qu’on n’en voit pas la fin, d’imaginer que quelque chose de bon ressortira de tout ça. Tout ce qu’on veut, nous, c’est rentrer à la maison, retrouver l’avant, la légèreté qu’on avait quand on s’installait à une terrasse de café, qu’on allait au ciné ou qu’on entrait dans un musée comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Comme si rien, jamais, ne devait nous enlever ce droit inaliénable.
On a envie de retrouver notre nord. Nos certitudes, notre arrogance, nos habitudes d’enfants gâtés. Pourtant, et c’est bien ce qui fait de cette épreuve un voyage initiatique, on ne reprendra probablement jamais le cours de notre vie d’avant parce que la vie d’avant, le monde d’avant, le nous d’avant n’existent plus. Peut-être que forts de cette crise qui nous pousse dans tous nos retranchements, nous retire nos certitudes, nous allons devenir une meilleure version de nous-mêmes et construire ensemble une meilleure version de notre monde. Peut-être que tout cela n’aura pas été vain, qu’on n’aura pas souffert pour rien. Peut-être…
Parce que le truc, avec les voyages initiatiques, c’est qu’ils sont rarement d agréables, reposants, confortables ou plaisants. Au contraire, ils sont plein d’obstacles, d’imprévus et autres galères qui nous poussent dans nos retranchements et nous confrontent à nous-mêmes. Sur le moment, on ne perçoit pas la portée philosophique et cathartique de ce qu’on est en train de vivre, on est bien trop occupés à faire face aux épreuves que le destin met sur notre chemin. Ce n’est qu’après, une fois le voyage terminé, qu’on constate la métamorphose.
Peut-être qu’il ne tient qu’à nous de laisser derrière ce dont on n’a plus besoin et de faire de cette épidémie un voyage dont on ressortira transformé, transmuté, meilleur qu’avant et résolu à vivre comme jamais.
Voici justement 7 histoires de voyages initiatiques. Des voyages au long cours, des voyages immobiles, des voyages imaginaires ou forcés, des quêtes amoureuses ou spirituelles. Mais toujours des voyages qui changent tout.
The Fountain, Darren Aronofsky (2006)
« Il y a une fontaine de jouvence : c’est votre esprit, vos talents, la créativité que vous apportez à votre vie et la vie des gens que vous aimez. Lorsque vous apprendrez à exploiter cette source, vous aurez vraiment vaincu l’âge.«
An 2000, Tommy et Izzi s’aiment mais Izzi est malade. Elle va mourir. Elle l’accepte, lui non. Il cherche désespérément le traitement qui pourrait la sauver. Pour lui, la mort est une maladie et il trouvera le moyen de la vaincre. Pendant ce temps, Izzy travaille sur un manuscrit racontant l’histoire de Tomas, un conquistador espagnol du XVIe siècle, qui part en quête de l’arbre de vie qui donne accès à l’immortalité à la demande de la reine Isabelle. Au XXVIe siècle, Tom est un astronaute, il voyage à travers le cosmos en direction d’une nébuleuse qui, selon une légende Maya, serait l’endroit où les morts ressuscitent. Il emporte avec lui un arbre magnifique : l’arbre de vie.
Ce film, c’est bien sûr une magnifique histoire d’amour qui traverse les âges mais c’est aussi et surtout un voyage au bout de l’acceptation de notre propre finitude : après bien des vicissitudes, le héros finira par accepter que la mort fait partie de la vie, que c’est même ce qui la rend possible, ce qui lui donne un sens. Vouloir s’en affranchir, c’est refuser de vivre.
Wild – Cheryl Strayed
“Pour moi, la solitude avait toujours été un lieu plus qu’un sentiment, une petite pièce dans laquelle je pouvais me réfugier pour être moi-même.”
À la mort soudaine de sa mère, Cheryl, jeune femme d’une vingtaine d’années, est totalement perdue. Elle sombre dans le sexe et les drogues dures, divorce de l’homme qu’elle avait épousé à 19 ans et tombe peu à peu dans une spirale autodestructrice. Jusqu’à ce qu’elle croise la route d’un livre, un guide pour le Pacific Cost Trail, un sentier de randonnée de 4240 kilomètres qui relie la frontière mexicaine à la frontière canadienne. Pour elle, c’est une évidence : elle doit faire cette randonnée. Qu’importe qu’il s’agisse d’une randonnée particulièrement difficile, qu’elle n’ait aucun entraînement et une condition physique déplorable.
Commence alors un voyage solitaire et exigeant qui l’obligera à affronter son passé. La première étape de ce voyage consiste à préparer son sac, qu’elle devra porter sur son dos en permanence pendant des mois. Ce sac, surnommé Monster, lui scie les épaules, entaille ses hanches et l’empêche d’avancer. Il est une magnifique métaphore de ce passé qu’on emmène partout, qui nous leste et qu’il faut parvenir à alléger pour progresser. Un livre a été tiré de ce roman, Wild, avec Reese Witherspoon, sorti en 2014 et réalisé par Jean-Marc Vallée.
Ami, l’enfant des étoiles – Henrique Barrios
“Ne continuez pas à lire, ce livre ne vous plaira pas. Il ne renferme que du merveilleux. Il est dédié aux enfantsde tout âge et de toute race de cette belle planète ronde, à ces futurs héritiers et bâtisseurs d’une nouvelle Terre sans division entre frères.”
Ainsi commence Ami, l’enfant des étoiles. À la manière du Petit Prince, ce livre se présente non pas comme un récit fictif mais comme une histoire vraie, racontée comme un souvenir d’enfance par son auteur.
Pedrito, un jeune garçon de 12 ans, est en vacances chez sa grand-mère. Un soir, alors qu’il est seul sur la plage, il reçoit la visite d’Ami, un extraterrestre arrivé en soucoupe volante sous ses yeux médusés. Commence alors un voyage incroyable au cours duquel Ami fera découvrir à Pedrito d’autres planètes et lui exposera les grandes lois de l’univers. Un voyage qui amènera Pedrito à changer sa vision du monde, de l’humanité et du cosmos.
Ce livre ne s’adresse évidemment pas qu’aux enfants, il délivre un message essentiel qui amènera tout lecteur à s’interroger sur le sens à donner à sa vie et au monde dans lequel il vit. Le tome 1 (il y en a 3) vient d’être réédité par les éditions belight, le livre est également disponible en pdf à télécharger. Vous pouvez aussi l’écouter en livre audio :
À bord du Darjeeling Limited, Wes Anderson (2007)
« Je veux que nous fassions de ce voyage un voyage spirituel où chacun de nous cherche l’inconnu, et en apprend quelque chose. »
Peter, Jack et Francis ne se sont pas parlés depuis la mort de leur père. Ils partent ensemble pour un grand voyage en train à travers l’Inde, à l’initiative de Francis, l’aîné, qui vient de réchapper d’un violent accident (qui était en fait, on l’apprendra plus tard, une tentative de suicide). Pour Francis, le but de ce voyage est officiellement de reconnecter la fratrie et de retrouver leurs liens d’antan. Bon, en vrai, c’est aussi de retrouver leur mère qui les a abandonnés, mais ça, il se garde bien de le dire à ses frères… La quête spirituelle des 3 frères déraille rapidement quand leur train repart sans eux, les abandonnant au milieu de nulle part avec leurs 11 valises, une imprimante, une machine à plastifier et beaucoup de comptes à régler. Le vrai voyage initiatique commence à ce moment-là…
Du grand Wes Anderson, subtile, drôle et beau, tant dans la photographie que dans les dialogues ou la bande originale.
Un jour sans fin – Harold Ramis (1993)
– Que feriez vous si vous étiez obligés de revivre la même journée, encore, et encore…
– Ça ressemblerait vachement à ma vie.
On ne présente plus cette comédie culte sur laquelle le temps n’a aucune prise (sans jeu de mots) tant elle est bien écrite. L’histoire est simple : prisonnier d’une boucle temporelle qui l’oblige à revivre encore et encore la même journée (de m….) Bill Murray est condamné à devenir une meilleure version de lui-même pour briser le sortilège. Il finira par y arriver mais cela lui prendra tout de même, selon les estimations des plus grands fans, 12403 jours, soit près de 34 ans ! Si ça, c’est pas un voyage initiatique à la découverte de soi-même, je ne m’y connais pas…
Le hobbit – Peter Jackson (2012)
“N’avais-je pas dit que vous seriez un fardeau ? Que vous ne pourriez survivre dans les terres sauvages ? Que vous n’avez pas votre place parmi-nous ? Je ne me suis jamais autant trompé de ma vie !”
Le hobbit Bilbo Saquet n’a qu’un projet : vivre une petite vie douce et tranquille, sans imprévus dans sa petite maison de sa Comté natale. Les aventures, c’est pas pour lui. Prendre des risques, encore moins. C’est sans compter sur l’irruption de Gandalf, du prince Thorin Ecu-de-Chêne et de sa bande de nains mal élevés venus le réquisitionner pour reconquérir la cité d’Erebor, conquis par le dragon Smaug. Bilbo tente bien de se défiler, en vain.
Il quitte donc sa petite vie confortable pour aller affronter Gobelins, Sorciers, Orques, Dragons, araignées géantes et métamorphes. Sur la route, il se découvrira bien plus courageux et intelligent qu’il n’aurait pu l’imaginer. Une fable qui incite à oser affronter l’inconnu, sortir des sentiers battus pour se découvrir soi-même et révéler le héros qui dort en nous.
De l’autre côté du miroir – Lewis Carroll (1871)
“Je suis tout à fait de votre avis, répondit la duchesse ; et la morale de ceci, c’est : soyez ce que vous voudriez avoir l’air d’être ; ou, pour parler plus simplement : ne vous imaginez pas être différente de ce qu’il eut pu sembler à autrui que vous fussiez ou eussiez pu être en restant identique à ce que vous fûtes sans jamais paraître autre que vous n’étiez avant d’être devenue ce que vous êtes.”
On ne présente plus Alice au pays des Merveilles et sa suite, De l’autre côté du miroir, notamment popularisé par le film de Walt Disney et ceux plus récents de Tim Burton. Mais la célébrité d’Alice et la popularité de personnages comme le lapin blanc ou le chat de Cheshire parviendrait presque à nous faire oublier que derrière cet univers fantasque se cache un message philosophique sur le fait de devenir ce qu’on est.
Dans le second opus de ce dyptique, Alice se rend de l’autre côté du miroir pour poursuivre son reflet. Elle arrive dans un pays tout aussi étrange que le premier, ce n’est autre qu’un échiquier géant où tout se déroule à l’envers, à commencer par le temps. Là encore, elle croise de nombreux personnages, traverse bien des épreuves qui feront d’elle, au bout de l’aventure, la reine du jeu d’échecs. Enfin, dit-Alice en retrouvant son monde, je suis devenue moi-même.
Ainsi, en poursuivant le reflet de celle qu’elle rêvait d’être, elle a emprunté le chemin qui lui a permis de le devenir.