Anne Sylvestre, grande dame de la chanson et du féminisme, nous a quittés à l’âge de 86 ans. On pourrait être triste mais elle nous laisse ses chansons qui traverseront les générations et ce ne se serait pas lui rendre un bel hommage car je suis sûre qu’elle préférait la joie et la tristesse. Je préfère donc lui souhaiter bon voyage.
Elle a peuplé mon enfance avec sa petite Josette, sa berceuse pour rêver ou encore son petit sapin, ode à la différence et à la tolérance, qui me faisait pleurer quand j’étais petite. Puis, en grandissant, je l’ai découverte sorcière comme les autres et j’ai compris qu’elle était bien plus qu’une dame qui chantait des chansons dans le poste à cassette de ma chambre d’enfant.
Parmi toutes ses chansons, celle qui en ce moment me paraît particulièrement de circonstance, c’est les gens qui doutent.
Où sont les gens qui doutent ?
Et en écoutant cette chanson, je me demande : ils sont où, ces gens qui doutent ?
Où sont-ils, ceux qui ne sont pas sûrs qu’il faille absolument être sûrs de savoir quoi penser ? Ceux qui veulent bien écouter ce que d’autres ont à dire pour voir ? Ceux qui disent je ne sais pas, je ne suis pas sûre, peut-être, après tout pourquoi pas ? Où sont-ils, ces gens-là ? Est-ce eux, la vraie majorité silencieuse, celle qui n’en pense pas moins mais qui, n’étant pas sûre de détenir la Vérité, celle avec un grand V, préfère se taire de peur de se faire insulter ?
Les gens qui savent ne savent rien
Dans les médias, sur les réseaux, on ne les entend pas, les gens qui doutent. Il n’y a que des gens qui savent, qui sont sûrs, qui invectivent, aboient, crachent leur fiel, inondent de mépris. Des qui veulent faire taire ceux qui ne pensent pas comme eux. Des qui ne voient pas plus loin que le bout de leurs intérêts et dénient aux autres le droit d’avoir les leurs. Quand avons-nous éteint la lumière pour mieux nous immerger dans la noirceur ?
Qu’avons-nous fait de nos doutes, de nos incertitudes et de l’humilité qui va avec ? Quand avons-nous cessé d’admettre que celui qui ne pense pas comme nous n’a pas forcément tort, n’est pas forcément bête ? Quand avons-nous tracé une ligne avec obligation pour tous de choisir son côté ?
Le doute, c’est l’ouverture
Moi aussi, Anne, j’aime les gens qui doutent. Ceux qui ne croient pas à la force qui impose, à la puissance qui écrase. Ceux qui savent que tout est plus complexe, que le noir et le blanc n’existent pas vraiment, qu’il n’y a que des nuances de gris. J’aime ceux qui voient la lumière tout autant que l’ombre. Ceux qui peuvent changer d’avis et rechanger d’avis. Ceux suffisamment humbles pour savoir qu’ils ne savent rien.
Le doute, c’est la tolérance, c’est un possible, c’est l’absence de jugement. Le doute, c’est être ouvert aux changements, c’est savoir que tout est mouvant. C’est vivre avec, l’accepter et trouver ça enrichissant.
Je finirai en citant les paroles d’une autre chanson d’Anne Sylvestre, une chanson pour enfant mais qui porte un message que les adultes ont tout autant besoin d’entendre. Elle raconte l’histoire d’un petit sapin que les autres arbres rejettent parce qu’il est différent, jusqu’à ce que l’hiver arrive et révèle sa majesté, laissant les intolérants sans feuilles et sans voix. La chanson se conclue ainsi :
Si l’histoire finit bien, c’est qu’à propos de feuilles on peut encore, c’est certain, accepter son voisin. On pourrait aussi l’aimer, à condition qu’on veuille penser qu’on est tous plantés dans la même forêt…