Very Bad Mother, c’est une kermesse féministo-punk imaginée par Lou Millour, militante dans l’âme, féministe de la première heure et bretonne pur beurre. Le but de ce festival, créé avec une joyeuse troupe de daronnes bretonnes : décomplexer les mamans et faire voler en éclat les injonctions à être des mères parfaites avec beaucoup d’humour et de sororité.
Si Lou s’est emparée du sujet de la maternité, c’est parce que le féminisme, du moins en France, ne s’était jamais vraiment penché dessus, ou alors pour parler du droit à la non-maternité. Parler de la difficulté à élever seule des enfants, du regret d’être mère, du burn-out maternel, du manque de temps pour soi et de liberté, de la précarité ou de la dépendance financière qui viennent avec la maternité, jusque récemment, cela n’avait rien de féministe et c’était même un grand tabou.
Pourtant, ce sujet touche tout le monde, mère ou non-mère, binaire ou non-binaire. Dans nos sociétés occidentales, passée un certain âge, une femme se doit d’avoir des enfants, de les aimer plus que tout, plus qu’elle-même, de s’arrêter de vivre pour eux et de trouver ça merveilleux. Celles qui refusent ce diktat sont pointées du doigt. Les autres déchantent bien souvent, découvrant que non, élever un enfant ce n’est pas que du bonheur. Surtout quand on perd son job, quand le papa est absent, violent, ou quand on ne rentre pas dans les bonnes cases.
Mais de cela, il a longtemps été interdit de parler, les injonctions à la maternité sacrificielle réduisant les mères au silence. Comme s’il y avait une règle tacite que chacune respectait : il fallait faire bonne figure, ne pas révéler la vérité, ne pas dégoûter les futures mères, ne pas risquer de traumatiser nos gamins en assumant que tout en les aimant, on peut parfois regretter notre vie d’avant et toutes les possibilités qu’elle nous offrait.
Et puis récemment, Very Bad Mother a décidé de redonner la parole aux mères. Leur offrir la possibilité de tout dire, le pire comme le meilleur, sans jugement, sans complexe, en toute sororité. Durant le festival qui aura lieu au printemps prochain, il sera donc question d’éducation collective, des mères célibataires, d’handiparentalité, de transparentalité, d’homoparentalité, de contraception masculine. L’objectif : que tout le monde se sente enfin reconnu dans sa manière d’être parents et cesse d’avoir honte de ne pas être un parent comme il faut.
B : Nous avons rencontré Lou pour savoir comment lui est venue cette idée géniale.
Lou : ce que tu viens de raconter, c’est effectivement la base de notre discours. C’est pour se décomplexer parce que justement, quand on est mère, le jugement sur nous est permanent et on est tout le train en train de se culpabiliser alors qu’en réalité, on donne naissance, on élève des gamins, on fait un boulot de dingue et on ne s’en rend même pas compte.
Very bad mother a tout de suite parlé a énormément de gens parce que le féminisme ne s’en était pas encore emparé à l’époque et ça a fait du bien à plein de nanas qui souffraient autant que nous de ne pas pouvoir parler de ça. D’ailleurs, on reçoit plein de messages en ce sens et quand on voit l’enthousiasme des gens pour le festival on se dit « Il était temps ! ».
Depuis 2 ans, on en parle de plus en plus : il y a quelques bouquins qui sont sortis là-dessus, il y a le magazine en ligne MILF qui se consacre à ce sujet. Récemment, j’entendais des jeunes filles qui font des collages discuter et dire « on a parlé des violences, maintenant on veut parler de non-binarité et des mères célibataires ». Automatiquement, elles ont cité les mamans donc ça y est, ça fait partie du féminisme et c’est génial. Cela ne vient pas que de nous, c’est un mouvement qui a émergé. Un nouveau propos politique. Peut-être aussi parce qu’à notre âge, on est pas mal de féministes à avoir des gamins.
D’ailleurs, j’ai l’impression qu’il y a eu une relance du féminisme il y a quelques années et je pense que ça correspond effectivement à la période à laquelle notre génération a commencé à faire des enfants et à se prendre la réalité de la maternité en pleine gueule.
B : Ce qu’on retrouve avec Very bad mother, c’est un peu ce qu’il s’est passé dans les années 70 où le mouvement est né parce que les femmes, exclues des débats de mai 68, ont commencé à se retrouver entre elles. C’est en parlant entre elles qu’elles ont réalisé qu’elles vivaient la même chose, qu’elles ressentaient les mêmes trucs et que le problème était systémique. Jusque là, enfermées dans leur solitude, elles avaient l’impression que c’était elles le problème. En libérant la parole, elles ont transformé la honte en colère, elles ont pu s’organiser et lutter ensemble.
Lou : Oui, c’est exactement ce qui nous est arrivé. Quand j’ai pensé à Very bad mother, c’est d’abord parce que j’avais un truc à régler avec moi-même, je pense, et quand j’en ai parlé aux copines elles ont toutes fait « wouah ». C’était comme une révélation.
En vrai, on a grandi de ouf en lançant ce festival. On s’est fait du bien, à nous et à plein d’autres gens. Là on a reporté le festival au mois de mai prochain mais toutes les invités sont à fond, elles nous suivent à fond parce qu’elles aussi, elles portent en elles les thématiques du festival.
B : Alors justement, est-ce que tu peux m’expliquer le commencement de tout ça, la genèse de Very bad mother ?
Lou : Je suis devenue maman plus tôt que la plupart des filles que je fréquentais à l’époque. Il y a plein d’autres gens qui ont des enfants à cet âge-là mais pas tellement dans les milieux universitaires et encore moins dans les milieux féministes.
J’étais en première année de fac, on était hyper amoureux avec le papa, on faisait la teuf à donf, on militait aussi dans les trucs d’extrême gauche, notamment le syndicat Sud, on parlait breton, on luttait pour la langue bretonne et l’indépendance de la Bretagne, donc on était vraiment de tous les combats. On avait une vie très sociale et puis je suis tombée enceinte, ce qui n’était pas du tout prévu. J’étais pourtant assez proche des gens du planning familial mais j’étais manifestement pas très au point niveau contraception. J’ai donc eu mon fils Taran à 21 ans. J’ai accouché à la maison, ce qui était déjà assez non-conventionnel.
Lou et son fils
Mais j’ai été élevée par une mère assez particulière qui n’en avait rien à faire des conventions. D’ailleurs ça c’est un peu l’angle mort dans Very bad mother : on réfléchit à savoir comment faire pour être de meilleurs parents, comment faire pour changer cette solitude dans la parentalité et après on se dit « mais au fait, on parle de nos propres mères, de nos propres modèles ? Euh… ouais, non, c’est chaud. » Il y quand-même une fille qui va faire un boulot là-dessus mais globalement, c’est une chose qu’on interroge assez peu alors que c’est central.
Ma mère était donc assez rock’n roll, dans la bohème intellectuelle on va dire, on avait une vie très très précaire. Je suis une gamine RSA avec pas de chauffage l’hiver parce qu’on n’avait pas de thune, enquêtes des assistantes sociales, restos du coeur y tuti quanti. Mais à côté de ça j’allais à des expos d’art contemporain, des conférences, je prenais des cours de piano. J’ai donc eu une enfance éduquée et cultivée mais malgré tout vraiment vraiment trash.
B : Et tu avais conscience que ce que tu vivais n’était pas classique ?
Lou : Non, je le conscientise mieux maintenant, petite j’étais assez costaud donc je le vivais assez bien. Je me suis débrouillée quoi. Je me suis pas mal occupée de ma petite sœur parce que ma mère était bien dans la déglingue. J’étais super bonne à l’école, ce qui a nous a pas mal sauvées avec les assistantes sociales, on avait un discours bien rôdé quand elles venaient, on était toutes mignonnes. L’avantage c’est que j’ai eu très tôt beaucoup de liberté parce que ma mère était pas trop en position de me dire quoi que ce soit.
B : Et t’avais quand-même suffisamment la tête sur les épaules pour ne pas te perdre en route, ce qui dénote quand-même une grande résilience.
Eh ben oui. Oui parce qu’en plus j’ai subi des violences gamines, donc oui, je pense que j’avais en moi une force qui m’a permis de rebondir assez bien. Je n’ai pas perdu cette joie. Mais ma mère était assez joyeuse aussi, malgré tout, donc c’était pas sordide. Enfin, ça dépend peut-être du prisme, je pense qu’il y a des gens qui devaient trouver ça sordide parce que c’était trop trash pour eux mais moi je ne l’ai pas vécu comme ça. Il y avait quand-même beaucoup d’amour dans tout ce bordel.
D’ailleurs, ça c’est quelque chose que j’ai en moi depuis longtemps. Ma mère n’a pas été très maternelle et elle ne nous a pas gérées, si on veut. Personne ne m’a jamais préparé mon petit déjeuner ou emmené à l’école. Ado, j’allais à l’école en stop le matin, elle ne payait pas les abonnements pour manger au lycée donc j’étais obligée de gratter les cartes de cantine de mes potes, enfin bon, j’étais dans la débrouille, quoi, mais à coté de ça je voyais des copains à moi qui avaient une vie beaucoup plus carrée, avec leur maman qui leur préparait le petit déjeuner, le goûter et tout ça et je voyais qu’ils ne la respectaient pas ! Le fait d’être complètement dédiée à ses enfants, de se mettre en mode maman à 100% et de ne plus vivre sa vie de femmes, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne solution. C’est la société qui veut ça mais en réalité, ça ne marche pas bien, ni au niveau éducationnel ni au niveau de l’amour filial.
Couverture du groupe Facebook Very bad mother
B : La société veut ça mais quand tu te plies à cette injonction, tu n’es ni respectée, ni reconnue, ni valorisée. Et en plus, tu perds ton indépendance financière.
Lou : Mais oui, c’est terrible, c’est vraiment la prison à 2 portes.
Bref, je suis tombée enceinte à 20 ans et on a décidé de le garder. Je pense qu’on s’est un peu fait avoir par le lobby anti-avortement. On a vu un médecin qui nous a fait le coup de « ah, écoutez on entend le coeur du bébé », ce qui était impossible vu le stade où on en était mais ça nous a quand-même foutu une bonne claque. Ils nous ont mis la pression en nous disant « mais quand-même, vous êtes amoureux, c’est possible » et ça nous a découragés d’avorter alors qu’en vrai, c’était n’importe quoi de faire un enfant à 20 ans. On était étudiant tous les 2, on n’était absolument pas prêts.
Mais on peut regretter d’être mère ET aimer ses enfants. Mon fils est absolument génial et du moment où il est né, jamais on a regretté, même si c’est dur d’élever un enfant à 20 ans et de continuer à faire sa vie. Il a fallu qu’on déploie une sacrée dose d’énergie pour continuer à militer, à faire la fête tout en s’occupant d’un bébé.
Pour le couple aussi, c’est très difficile. Nous on s’est séparés vers 25 ans, parce qu’on s’était rencontrés très jeunes et que notre histoire d’amour était terminée et aujourd’hui on s’entend encore très bien mais oui, un bébé ça met le couple en péril. Et ça on le dit jamais. D’ailleurs il y a même des gens qui font des enfants pour arranger leur couple…
B : Je vois pas comment on peut penser que ça va arranger quoique ce soit. C’est tellement violent, l’arrivée d’un bébé dans une vie, en terme de sommeil, de sacrifice de soi, de choc identitaire !
Lou : Tu mets les bons mots quand tu dis que c’est violent l’arrivée d’un enfant mais personne ne le dit jamais. Et c’est aussi un discours qu’on tient parce qu’il faut le dire ! Quand Charlotte Bienaimé est venue nous rencontrer, il y a une copine qui a dit « mais putain mais moi on m’avait pas dit la grosse arnaque que c’est la parentalité, de montrer ça comme un truc qui rend la femme accomplie, qui donne que du bonheur, c’est un mensonge, quoi ! ».
Donc oui, il faut rappeler que c’est hardcore d’élever un gamin, surtout dans le monde dans lequel on vit, ça nous ramène à des schémas qu’on refusait jusqu’à présent mais dans lesquels on tombe sans s’en rendre compte. C’est très difficile.
Lou, amoureuse de la lutte
B : Ça dépend aussi de la classe sociale à laquelle tu appartiens. Quand tu es intérimaire ou indépendante, c’est pas la même chose que quand tu es fonctionnaire, par exemple. Dans un cas tu as des aides, des soutiens, un long congé pendant lequel tu conserves l’intégralité de ton salaire, dans l’autre cas tu n’as quasiment rien. On parle assez peu de ces inégalités face à la maternité.
Lou : Ah ça c’est sûr que la précarité, ça rend les choses encore plus difficiles. On est justement allées rencontrer le collectif Femmes en lutte 93 parce qu’on voulait les inviter sur le festival. Il y a une fille qui témoignait de sa vie et c’était terrible, ce qu’elle racontait. Elle devait avoir une vingtaine d’années, c’était donc une jeune meuf racisée qui avait eu un gamin hyper jeune, le mec est devenu violent donc elle est partie, elle est aujourd’hui dans un foyer pour jeunes femmes avec son bébé. Elle lâche pas l’affaire, elle fait une formation pour apprendre un métier mais c’est à 1h de route donc elle doit lever son bébé, un tout petit bébé, à 5 ou 6h du matin pour le déposer chez une nounou, après elle fait 1h de transport en commun pour aller suivre sa formation et le soir pareil. T’imagines la force de caractère qu’il faut pour pas lâcher l’affaire ?
C’était poignant et c’est justement des voix qu’on n’entend jamais et auxquelles ont veut faire de la place dans notre festival parce que c’est ça la réalité, quant tu élèves seule un enfant dans la précarité avec un père violent. C’est terrible et cette fille, elle était lumineuse mais tu voyais aussi qu’elle était épuisée.
Les Very bad Mother étaient dans l’épisode 23 de Un podcast à soi
B : C’est ce qui me gêne un peu dans les discours d’empowerment qu’on voit partout dans les médias, qui mettent en avant des femmes ayant fait de brillantes études, une brillante carrière et qui ont « réussi ». Quand tu es dans la situation de cette jeune fille et que tu reçois en pleine figure ces exemples de femmes « puissantes », tu te sens totalement exclue.
Lou : Ah oui, tous ces portraits inspirants du style « j’ai changé de métier à 35 ans, avant j’étais rédac chef dans un grand magazine et maintenant je suis décoratrice d’intérieure », en oubliant totalement de dire que si t’as pu faire ça, c’est parce que t’étais suffisamment privilégiée pour être devenue rédac chef, d’abord, puis pour envisager de quitter ton job super bien payé pour aller faire une formation super chère. Genre, normal.
B : Oui, et ça, dans ce genre d’article, personne ne le dit jamais alors que c’est essentiel. J’ai l’impression que les seuls modèles de réussite qu’on te présente dans les médias, ce sont des gens d’origine bourgeoise. On ne se rend pas compte à quel point c’est violent pour toutes celles qui n’ont pas eu autant de chance à la grande loterie de la vie.
Lou : Oui, c’est la petite tendance du féminisme à oublier la lutte des classes. D’où l’intérêt d’écouter ces femmes-là parce qu’elles ont vraiment des trucs importants à dire. Elles ont des parcours de dingue, elles militent, elles bossent, elles élèvent leurs gosses seules avec rien. Elles ont tellement de force ! C’est des guerrières.
Extrait de Chavirer, par Lola Lafon
B : Je suis bien d’accord. Ton fils est donc né à la maison quand tu avais 20 ans…
Lou : Oui. Et donc on a continué à militer, à faire nos études et à faire la fête en étant très fatigués mais je n’ai jamais rien voulu lâcher. Après j’ai eu ma fille qui a 12 ans aujourd’hui. Elle a un autre papa mais les papas s’entendent très bien et on a une cellule familiale qui marche bien. Ça c’est du boulot aussi d’ailleurs. Elle aussi est née à la maison.
Je sais bien que c’est absolument pas conventionnel non plus mais dans les 2 cas c’est les papas qui ont pris le congé paternité. Quand ma fille est née, j’étais en passe de devenir directrice dans la radio où je travaillais. J’étais jeune, j’avais 28 ans, j’étais une des plus jeunes directrices d’association bretonne donc c’est Adri qui a beaucoup gardé sa fille quand elle était toute petite parce que ça demandait énormément de travail, des réunions tard le soir, etc.
Je n’ai jamais fait peser sur mon employeur le fait que j’avais des enfants et que c’était hyper compliqué de me dégager du temps. Je n’avais pas encore conscientisé et politisé ma maternité à ce moment-là. Si c’était à refaire je le ferais différemment.
Bien sûr, on a subi pas mal de regards sur nous, de toute façon dès qu’on a des enfants on est constamment jugé sur notre manière de faire. Mais tant que ça venait de l’extérieur ça ne me posait pas de problème, au contraire ça renforçait même mes convictions, ça me donnait encore plus envie d’élever mes enfants de manière différente, de faire des choses militantes avec eux, de garder ma vie de femme, d’avoir des histoires d’amour, etc.
Jusqu’à ce qu’une camarade au sein d’un groupe féministe me traite de mauvaise mère. Là, ça a vraiment été un choc. Bref, ça a été assez dramatique pour moi mais très rapidement, je me suis réveillée en me disant qu’en fait, c’était pas possible que dans un collectif féministe des idées comme ça puissent circuler parce que ça veut dire que ces jugements sur la bonne maternité et la bonne parentalité existent partout même dans les milieux de gauche, ouverts où il est censé y avoir de la sororité.
Lou et sa fille
B : Parce qu’à l’époque, c’était un collectif féministe qui n’était pas centré sur la maternité ?
Lou : Absolument pas, c’était pas du tout un sujet. Et comme à cette époque j’étais la seule mère solo du collectif, les réunions étaient quasiment tout le temps chez moi. Au bout d’un moment ça m’a été reproché d’ailleurs. J’aurais dû justement politiser le truc en disant « ben ouais mais comment on fait pour que les mères puissent militer », en faire un vrai sujet. On n’a toujours pas de réponse à cette question d’ailleurs. Ce sera un des axes de boulot pour Very Bad Mother.
B : Est-ce que tu as l’impression qu’à l’époque, le fait d’être mère était un anti-féminisme ?
Lou : Dans certains milieux, oui, ça a pu l’être. Mais c’était pas le cas chez nous jusqu’à ce que cette fille me balance cette horreur, ce qui m’a fait l’effet d’un tremblement de terre intérieur. Je me suis dit « la prochaine chose que j’organise, ce sera sur la parentalité ». C’était il y a un peu plus de 2 ans. Depuis on a monté un autre crew d’orga de kermesses féministes. On a notamment organisé l’année dernière un événement anticlérical, Apostazik pour se débaptiser et refuser les exactions de l’église comme la pédophilie, la lutte contre l’avortement, etc. Pendant qu’on était en train d’organiser ce festival j’ai dit aux filles « j’ai une nouvelle idée, le prochain truc que je veux organiser ça s’appellera Very Bad Mother » et elles m’ont toutes dit « mais grave oui ! ».
On a donc commencé à travailler, à voir les champs que recouvrait cette thématique : qu’est-ce que c’est qu’être une mère racisée, une mère précaire, une mère trans, toutes les marginalités dans la parentalité en fait et qui finissent par être la majorité. Et aussi pourquoi est-ce que les pères sont absents, pourquoi est-ce qu’on n’est pas plus sur de l’éducation collective, etc.
B : Mais Very bad mother parle aussi aux mères plus « classiques ». Parce qu’être hétéro et en couple avec le papa ne rend pas la maternité forcément plus fluide.
Lou : Carrément. Mais ça on s’en est rendu compte en préparant le festival. À la base moi j’ai tiré la bobine dans différentes directions mais très vite, on a vu que les mamans hétéra étaient aussi concernées par ces questions. Et puis de toute façon on traite aussi de l’éducation non sexiste et ça, ça concerne tout le monde.
J’ai donc identifié des gens que j’avais envie d’entendre mais rapidement, ce sont les gens qui m’ont contactée parce que cette thématique n’existait pas et qu’il y avait un grand vide là-dessus. Il y a eu notamment Ovidie, Morgane Merteuil, Charlotte Bienaimé, Juliette Rousseau, Claire Lemaire, Claire Translate, Misungui Bordelle, Geneviève Bernanos... Je les ai toutes rencontrées une à une, c’est des filles avec qui je m’entends super bien, qui deviennent parfois carrément des copines. Juliette m’a d’ailleurs fait prendre conscience qu’on n’avait pas forcément envie de parler de parentalité quand on était militante écolo, féministe ou autre. Ça nous gonfle un peu de parler des enfants, on a l’impression que c’est un peu se conforter à ce qu’on attend de nous alors qu’en fait c’est passionnant de parler d’éducation !
B : C’est ce qui fait le monde de demain, l’éducation d’aujourd’hui.
Lou : Exactement ! Donc je suis allée rencontrer toutes ces nanas géniales et j’ai vu l’appétence qu’il y avait sur le sujet. J’avais déjà contacté certaines d’entre elles pour d’autres festivals qui traitaient de sujets féministes plus mainstream et elles ne m’avaient jamais répondu. Là, c’est elles qui venaient à moi. Donc je me suis dit qu’on était vraiment en train de créer quelque chose de puissant avec une vraie portée politique, qui concerne absolument tout le monde, ceux qui ont des enfants comme ceux qui n’en ont pas, les hommes, les femmes, les personnes non-binaires, bref, tout le monde.
Quand j’ai monté la page du festival sur Facebook, on s’est retrouvé à plus de 3000 personnes en 2 secondes, c’était assez fou de voir cet intérêt pour ce sujet qui n’en était pas encore un et qui en est devenu un aujourd’hui. Mais ça, c’est pas que Very bad mother, on a juste fait notre part.
Je pense que même si on ne pouvait jamais faire ce festival, au fond ce serait pas grave parce que la lutte est enclenchée et maintenant il y a des gens qui vont travailler dessus, faire des études. Le boulot politique il est fait. Cela a permis aux mères de sortir de la solitude qu’engendre la maternité et qui fait qu’on a toutes l’impression d’être de mauvaises mères parce que de toute façon, à partir du moment où tu as un enfant, la société te juge quoique tu fasses. Et même si t’en as pas d’ailleurs, la société te juge.
B : D’une certaine façon, se rendre compte que c’est pas toi le problème parce que de toute façon quoique tu fasses on te le reprochera, ça libère : quitte à se faire critiquer, autant se faire critiquer pour un truc avec lequel on se sent en accord, non ?
Lou : Carrément : comme on a tout faux, allons-y gaiment ! Même vis-à-vis de nos enfants, c’est libérateur. On s’est énormément décomplexées entre nous. Par exemple il a une fille du collectif qui élève vraiment toute seule ses 2 filles qui sont grandes maintenant et qui sont souvent en train de se plaindre, gentiment bien sûr hein. Du coup elle leur a dit « oh ben écoutez oui, qu’est-ce que vous voulez, je suis une very bad mother et puis c’est tout ». Et aussitôt ses filles lui ont dit « mais non maman, pas du tout, t’es super ».
De mon côté quand je préparais le festival mes enfants m’ont vu lire des livres du style « le regret d’être mère », « l’infanticide », donc au bout d’un moment je leur ai dit « vous inquiétez pas, c’est pas contre vous, hein ». Et ils m’ont dit « non mais on te connaît maman, t’inquiète », ça ne les avait pas effleurés en fait. Les enfants savent faire la part des choses entre ce qu’on peut dire politiquement et ce qu’on ressent pour eux.
Les travaux et le bricolage, l’autre passion de Lou
B : Est-ce que tu t’attendais à un tel succès ?
Lou : Non, ça m’a complètement dépassée. Je sentais bien, quand j’ai eu cette idée, que c’était une super idée qui allait vraiment combler un vide mais je ne m’attendais pas à ce point-là.
D’ailleurs on a monté un groupe Facebook qui s’appelle Very Bad Virus, un groupe de lâchage avec le ton décomplexé et pas du tout moralisateur de Very bad mother, sur lequel les mères pouvaient venir raconter qu’elles avaient bouffé que des gâteaux secs depuis 3 jours parce qu’elles avaient la flemme de cuisiner mais que c’était pas grave, qu’il y avait pire, en fait. Et le groupe a été ultra actif ! On recevait des dizaines de posts par jour ! Il y avait un vrai besoin.
On a eu des mamans en plein craquage qui venaient nous dire qu’elles pétaient des plombs, certaines qui nous disaient « je craque, je vais commencer à taper sur mes gosses », on les a soutenues autant que possible. Et tout s’est fait dans la sororité, bien sûr. À aucun moment on a jugé ces mères, à aucun moment on s’est écharpé.
C’est quelque chose qu’on retrouve dans l’organisation du festival, on a une manière un peu punk et libertaire de faire les choses, avec de l’humour, des blagues qui amènent beaucoup de transversalité. C’est-à-dire que tout le monde s’y reconnaît : on a aussi bien des féministes intersectionnelles que des nanas du féminisme institutionnel et tout le monde s’y retrouve.
Et ce ton décalé, en tout cas se sont des copines parisiennes qui nous ont dit ça, ça amène un peu de fraîcheur et de légèreté dans un milieu féministe qui peut être très codifié avec différentes écoles bien séparées. Sur la page de Very Bad Mother, personne ne vient troller, les gens ne s’engueulent pas, ne se contredisent pas, il y a un vrai respect.
Il y a plein de sujets sur lesquels on n’est pas forcément d’accord, on n’a pas la même vision des choses, les mêmes opinions politiques mais la maternité, ça traverse tout le monde et même si on ne la vit pas toutes de la même manière, c’est très souvent une source de difficultés et de souffrance donc ça met tout le monde d’accord.
Je suis fière de réunir des féministes d’univers complètements différents, de ce que ce festival a amené. C’est une source d’enrichissement et d’empowerment, c’est sûr, mais je suis surtout super contente de voir que ça y est, tout le monde en parle, c’est devenu un vrai sujet de société.
B : Tu peux nous parler de ta radio ?
Lou : Eh ben écoute, ma radio c’est une radio géniale. C’est une radio associative en langue bretonne qui a été montée il y a un peu plus de 20 ans parce qu’il n’y avait pas assez de breton sur le réseau France Bleu. Il y a donc un petit groupe de militants qui ont monté une radio associative pour faire une vraie place au breton sur la bande FM.
Ça s’appelle Radio Kerne, on diffuse dans tout le Finistère. Les contenus parlés sont en breton mais on ne parle pas que de Bretagne, on traite de social, d’économique, de culturel, bref, de tout ce dont parlent les autres médias de proximité, mais en breton. Et notre programmation musicale est vraiment géniale et très éclectique avec beaucoup d’électro, de rock, de jazz et de musique du monde, un peu dans la veine de Radio Nova. Il y a aussi de la musique bretonne, bien sûr, mais pas que. Le but c’est vraiment de moderniser la vision qu’on a du breton. D’ailleurs, même les finistériens qui ne parlent pas breton ont une bonne image de radio Kerne.
J’y suis rentrée à 23 ans, comme animatrice, c’était mon premier boulot. J’ai été animatrice pendant 7 ou 8 ans puis je suis devenue directrice en 2010. On est 8 salariés maintenant et on essaie de créer dans notre radio le monde qu’on voudrait, c’est-à-dire que c’est humain et souple. Du moment que le boulot est fait, on est cool sur les horaires, on se base sur la confiance avec une grande tolérance. Il y a une bonne entente entre tout le monde parce que chacun porte le projet donc tout le monde est consciencieux.
On a ouvert une radio à Nantes, il y a 1 an, ce qui est historique, c’est la première fois qu’il y a un média 100% en breton à Nantes. Ça c’est une sacrée montagne qu’on a gravi, ça nous a pris 3 ans. Personne n’y croyait à la base, mais j’y suis allée avec ma tête de mule et l’aide précieuse de mes collègues et on l’a fait !
B : Est-ce qu’il y a un lien entre ton engagement pour le rayonnement de la langue et de l’identité bretonne et tes combats féministes ?
Lou : Alors, j’ai passé pas mal de temps à faire du féminisme sur mes heures de taf donc par moment je pense que la radio a bien subventionné le féminisme en Finistère mais blague à part… oui, bon, j’imagine que j’ai un amour de la lutte dans tous les domaines ! De toute façon je ne me verrais pas du tout faire un boulot avec lequel je ne serais pas en accord. C’est une chance ou un talent, je ne sais pas.
B : Tu t’es créée cette chance, en tout cas.
Lou : Oui, voilà, et c’est marrant parce que c’est très très stable, j’entame ma 17ème année à la radio donc c’est le truc le plus stable de ma vie. Mes histoires d’amour durent moins longtemps par exemple… Et comme j’ai été élevée par une mère qui n’a jamais travaillé, c’est assez marrant.
B : Comment elle voit Very Bad Mother, ta maman ?
Lou : Elle est morte l’année dernière mais elle faisait partie de la clique du festival. D’ailleurs sur l’affiche, il y a écrit dédicace à Avel. C’est elle.
Elle m’a toujours suivie dans mes trucs féministes et je m’appelle Lou pour Lou Andréa Salomé donc elle avait déjà un regard sur la liberté féminine. Elle était féministe mais sans être dans la lutte. Elle aussi, elle a subi les jugements de la société sur sa maternité mais elle avait un rapport à la liberté tellement viscéral qu’elle a fait un gros fuck à tout le monde. Elle a vécu sa vie de patachon, de bohème en s’en tapant du regard des autres. Plus que moi, je pense, je suis bien plus dans le moule finalement.
Le festival Very bad Mother aura lieu à la brasserie Tri Martolod, à Concarneau, en Finistère, le week-end de Pâques 2021. D’ici là, n’hésitez pas à rejoindre le groupe Facebook Very bad Mother ainsi que le groupe Very bad virus, pour toutes celles qui n’en peuvent plus d’être confinées en famille !
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