En juin 2020, Michka, la grande dame du cannabis, publiait son nouvel opus. Un livre à la magnifique couverture où elle apparaît sereine et lumineuse, un joint à la main. Mais ne vous y trompez pas, ce livre est bien plus qu’un livre sur le cannabis, c’est l’autobiographie d’une femme passionnée, éprise de liberté, d’amour et d’aventure.
Un livre empreint d’une grande sagesse, dans lequel elle nous invite à survoler sa vie avec elle, enchaînant les souvenirs et les réflexions qu’ils lui inspirent.
Elle nous emmène dans ses endroits fétiches, au Canada, à Amsterdam, au Brésil ou dans son jardin parisien. On ressent très fort le lien puissant qui la relie à la nature. Que ce soit l’océan, sur lequel elle a vécu à bord d’un voilier construit à 4 mains avec son compagnon ; la nature sauvage et montagneuse du Canada où elle s’est immergée avec son mari et ses enfants, dans une maison de bois auto-construite où elle se réfugie encore souvent ; ou encore en plein coeur de Paris, dans le petit jardin qu’elle a longtemps entretenu avec grand soin, lui consacrant tant de temps et d’attention que son amoureux de l’époque l’accusait même d’adule-terre. Elle nous rappelle que la nature, c’est nous. Pour se trouver, il faut la retrouver.
Elle évoque bien sûr le cannabis et la relation toute particulière qu’elle entretient avec cette plante. Un lien fort et durable, qui va bien au-delà du combat qu’elle mena presque malgré elle pour la défendre dans les années 90. Plus qu’une plante, c’est pour elle une amie, une compagne de route.
Mais il y est aussi question d’amitié, d’amour, de rencontres, de filiation, de transmission, de bienveillance, de sa quête de guérison et de sa foi en l’univers. Car la spiritualité est partout, dans la vie de Michka. Et en partageant avec nous sa vision du monde, elle nous donne envie d’être nous aussi à l’écoute de l’univers pour le laisser nous guider sur notre propre voie. C’est en cela que ce livre nous suit longtemps après l’avoir refermé.
Brunhilde a eu la chance de s’entretenir avec Michka. Ensemble, nous avons parlé de plantes, de liberté, d’exploration intérieure, de cannabis et de la maison d’éditions qu’elle a créée il y a 20 ans avec Tigrane Hadengue, qui fut également l’un des hommes de sa vie.
Brunhilde : En France, l’usage des plantes médicinales est extrêmement contrôlé et réservé aux seuls pharmaciens, le métier d’herboriste n’étant même plus reconnu depuis 1941. Seuls 148 plantes sont dites « libérées ». Que pensez-vous de ces interdictions ?
Michka : On pourrait dire que toute la tendance, depuis que nous nous sommes incarnés en tant qu’espèce sur la planète Terre, a été de prendre de la distance par rapport à la nature. D’œuvrer à nous en extraire. À faire l’expérience de nous-mêmes en tant qu’individus séparés, autonomes. De ce fait, nous avons été aveugles au fait que, massacrant notre mère, nous nous massacrons nous-mêmes.
Heureusement, les choses changent, les consciences s’ouvrent. Et j’aime me souvenir que, souvent, le changement arrive par quelques-uns. Qu’une minorité motivée a le pouvoir d’entraîner une majorité effarouchée.
Bien sûr, parler de médecine vs herboristerie prend une résonnance particulière aujourd’hui – la façon dont les évènements ont brutalement exposé l’emprise des laboratoires pharmaceutiques sur les politiques planétaires nous a laissés pantois.
Sans que nous y prenions garde, l’industrie du médicament est devenue plus lucrative que toute autre industrie au monde. Tout en tuant lourdement, puisque, dans les pays occidentaux, les effets seconds des médicaments sont la troisième cause directe de mortalité, derrière les maladies cardiovasculaires et le cancer. Alors oui, la suppression du métier d’herboriste par le maréchal Pétain en 1941 est hautement signifiante. Merci de l’avoir rappelée. À nous de réfléchir à la façon dont nous nous soignons.
Pour le fond, cela soulève la question du libre accès au royaume végétal. Nous avons grandi dans un monde où chacun tient pour acquis qu’il est bon, juste et désirable, de nous interdire certaines plantes.
Il est vrai qu’il existe un fâcheux précédent : Dieu lui-même (« Dieu le père » et non pas « la déesse Mère », car tout se tient) prohibant le fruit d’un arbre particulier. Donc, le Tout-Puissant interdisant l’accès à certains végétaux — interdiction dont Ève ne souhaitera pas tenir compte. Ève, et pas Adam…
Si bien que, quinze ou vingt siècles plus tard, rien ne semblera plus vertueux aux pouvoirs en place que de brûler les femmes qui connaissaient l’usage des plantes, savaient celles qui soignent, celles qui font voyager, ou qui sont abortives – et par là même, détenaient la capacité de disposer de leur propre corps.
Les plantes sont nos amies, au sens le plus fort du terme ; elles sont là, attentives, prêtes à entrer en symbiose avec nous. Le libre accès au royaume végétal (le libre accès au paradis terrestre) est un droit naturel de toute créature vivante.
Quoi de plus doux que de récolter les fruits de son dur labeur ?
B : J’aimerais parler de votre rapport à la liberté, à l’exploration. Vous avez vécu 1000 vies et fait des choix radicaux, souvent à contre-courant : était-ce totalement naturel pour vous ou avez-vous parfois eu à dépasser des peurs ou des pensées limitantes pour gagner cette liberté ? Et si oui, comment avez-vous fait pour les dépasser ?
M : J’aime défricher, j’aime l’aventure et la découverte. J’adore les premières fois, alors que la répétition finit toujours par m’ennuyer. Naturellement, je me suis souvent trouvée dans l’avant-garde, qu’il s’agisse de la bio, de l’écologie, des médecines naturelles ou de la naissance à la maison.
J’ai la chance de sentir clairement ce que j’ai envie de faire, ce qui m’excite. Je vais naturellement vers ce qui me fait du bien, avec une forte focalisation.
De plus, j’ai appris de Seth, d’Abraham, de Bashar et autres entités qui œuvrent à l’élévation de la Terre et de ses habitants, que notre tâche première est d’être attentif à nos sens intérieurs. En effet, nous sommes dotés d’un GPS interne qui, à chaque instant, confirme ou infirme que nous cheminons dans la bonne direction. Ressentons-nous cette ouverture intérieure, cette « ouverture du cœur », comme on dit aujourd’hui, qui est la signature du bien-être profond ? Si la réponse est affirmative, c’est que nous sommes sur le bon chemin – bon pour nous, c’est-à-dire celui qui contribue à notre propre réalisation. En revanche, si notre poitrail, notre ventre, sont resserrés, c’est que nous allons à contre-courant de notre moi supérieur. Toutes affaires cessantes, il faut alors examiner ce que nous sommes en train de faire, ou de penser, pour effectuer les modifications nécessaires.
Le voilier, construit à 4 mains avec son compagnon, sur lequel ils ont voyagé et vécu.
La vie au naturel, dans sa maison canadienne d’Eagle Mountain.
B : Vous avez créé il y a 20 ans votre propre maison d’édition : pouvez-vous nous raconter comment et pourquoi vous est venue cette idée, pourquoi ce nom, Mama, et nous parler de votre ligne éditoriale ?
L’écriture est mon moyen d’expression, le fil d’Ariane qui relie les différents pans de ma vie. Parallèlement, la lecture m’a ouvert des horizons ; elle m’a inspirée, elle a présidé à mon évolution.
J’ai publié mon premier livre, Le grand départ et la vie sur l’eau, en 1977, pour inspirer mes lecteurs à larguer les amarres, comme je l’avais fait moi-même avec bonheur. Puis mes ouvrages se sont succédés et, à chaque nouvelle publication, j’en apprenais davantage sur la façon dont un écrit se transforme en livre. Mais c’est la rencontre avec Tigrane Hadengue qui a été déterminante.
Nous voulions que notre maison d’édition porte un nom universel. « Ma-ma » sont les deux premières syllabes proférées par la plupart des petits humains.
Nous sommes tous deux portés par le désir de publier des livres réalisés avec amour et qui fassent du bien, de façon très concrète. Des textes qui inspirent, qui nous connectent à notre propre pouvoir et à la nature, tout en nous aidant à décoder les messages venus de l’invisible.
Michka et Tigrane devant le musée du fumeur qu’ils ont créé en 2001 et revendu en 2011.
B : Parlons maintenant du cannabis : vous rappelez-vous votre rencontre avec cette plante ? Comment expliquez-vous cette connexion particulière entre vous ? Seriez-vous la même personne, sans elle ?
Je me souviens très clairement de ma rencontre avec l’Herbe, du côté de Vancouver, au tout début des années 1970, alors que j’étais prof de français dans un lycée. Au début cela m’a fait peur (« la drogue »), et j’ai fait semblant de tirer sur le mince stick de marijuana pure, c’est-à-dire roulé sans tabac, comme cela se pratique en Amérique du Nord, qu’un ami, prof lui aussi, me faisait passer.
Je n’explique pas le lien très fort qui m’unit à cette plante, je ne peux que le constater. Le cannabis a joué un rôle profond dans ma vie, pas seulement comme compagnon et allié, mais aussi par les rencontres qu’il a occasionnées, et qui à leur tour ont été porteuses de lumière.
Je n’ai qu’à me féliciter du lien que j’entretiens avec cette plante. Pour moi, tout est bénéfique dans mon rapport avec elle. Mais je tiens à souligner qu’il s’agit là de mon cas personnel. Il y a des gens pour qui c’est tout l’inverse. Il importe, là encore, de prêter attention à notre boussole intérieure afin d’identifier clairement ce qui nous est profitable et ce qui nous entrave.
B : Pour vous, cannabis et spiritualité vont-ils de pair ?
Nous avons tendance à surestimer les effets intrinsèques du cannabis. Il agit comme potentialisateur, c’est-à-dire que ses effets varient selon la personne qui le consomme. Cela a été mis clairement en évidence dès la guerre du Vietnam, où l’on a remarqué qu’il avait un effet opposé sur les soldats Américains et sur les combattants du Viêt-Cong : ces derniers n’en étaient que plus motivés pour se battre, alors que les Américains étaient encore plus motivés pour ne pas se battre.
Ceci dit, en Inde, où le cannabis joue traditionnellement un rôle religieux, il est consommé par les Sâdhus, sorte de moines itinérants qui ont fait vœu de pauvreté et se consacrent à la vie spirituelle. Là-bas, les hommes d’affaire et autres acteurs du matérialisme, vont plutôt se tourner vers l’alcool, cette boisson venue d’Occident, et qui demeure largement considérée comme impure sur le continent indien. Ce rejet des boissons alcoolisées offre une image miroir du rejet culturel du cannabis dans nos pays, où, plusieurs décennies après son introduction, il continue à être considéré comme intrinsèquement mauvais.
B : Selon vous, la légalisation du cannabis est-elle inéluctable et quels en seraient les bénéfices pour la société ?
Oui, la légalisation du cannabis me paraît inéluctable ; il s’agit d’un mouvement planétaire. Les pays riches ont réussi à imposer sa prohibition au monde pendant plusieurs décennies, ce qui est déjà extraordinaire, vu qu’il est tellement moins dangereux que l’alcool ou les cigarettes, et qu’il n’a jamais tué personne depuis que le monde existe. Mais ce tabou touche à sa fin.
Les États-Unis ont été aussi loin qu’ils le pouvaient dans ce qu’ils ont appelé « the war on drugs ». Des centaines de milliers de citoyens y ont été jetés en prison pour fait cannabique. De ce fait, les Américains ont été les premiers à reconnaître que la prohibition de la marijuana était une aussi mauvaise idée que l’avait été, en son temps, la prohibition de l’alcool. Ils ont commencé à légaliser l’herbe dès les années 1990, si bien qu’il existe là-bas de jeunes adultes qui n’ont jamais connu cet interdit.
Dans l’idéal, nous irions globalement vers une dépénalisation. Les pénalités seraient simplement levées pour tous ceux qui consomment du cannabis ou en cultivent, en achètent ou en vendent. Mais les gouvernements préfèrent une légalisation, c’est-à-dire un ensemble de lois qui établissent les conditions dans lesquelles il peut être légalement consommé, cultivé, acheté ou vendu — moyennant une lourde taxation.
La légalisation offre tout de même certains avantages, comme de permettre un contrôle de qualité, impossible tant que le produit demeure clandestin. Elle aidera aussi à dissiper certains effets pervers, comme de dresser contre les forces de police une jeunesse qui n’aurait rien à se reprocher, mais qui est cataloguée comme délinquante du fait de son goût pour cette plante.
Le problème aujourd’hui est de savoir comment retourner à la raison, après que la déraison a si longtemps sévi. On en revient à la question de base. Au fait que le libre accès à l’ensemble du règne végétal est un droit naturel de tout être vivant.
À nous de le revendiquer. À nous d’en tirer parti en conscience. À nous de protéger les plantes. De faire qu’elles soient libres de croître et prospérer, pour notre plus grand bien à tous.
Le livre de Michka est disponible dans toutes les bonnes librairies et sur de nombreux sites (de préférence indépendants…). Ne passez pas à côté !
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