Ce week-end, à la cité fertile de Pantin, se tiendra la toute première édition du festival WeToo, un festival féministe, familial et inclusif, où toute la famille et toutes les familles sont les bienvenues. Parce que le féminisme s’adresse à toutes celles et tous ceux, de 0 à 107 ans, qui rêvent d’un monde plus égalitaire.
Au programme, des pièces de théâtre, un DJ set, des spectacles pour enfants, des tables rondes, une librairie éphémère, des stands associatifs, d’autres avec des jouets non genrés, des conférences, des projections en libre-accès, etc. Et, chose suffisamment rare pour être soulignée, le festival propose même un service de garde d’enfants pour permettre aux parents d’assister aux spectacles en toute sérénité.
Pour en savoir plus sur ce festival, sa naissance, son histoire, sa programmation et sa dimension politique, nous avons rencontré Del et Sephora, 2 de ses co-organisatrices.
Brunhilde : Comment est né le WeToo festival ?
Sephora : Nous sommes 6 co-organisatrices. L’une d’entre nous, Caroline Sahuquet, était en lien avec un théâtre qui lui a proposé de créer un festival. Il se trouve qu’il y a 2 ans, Caroline a créé un collectif de femmes artistes, les Collectives, c’est un réseau d’entraide qui nous permet de travailler ensemble, se refiler les bons plans, inventer, créer en lien avec le féminisme et nos conditions de femmes et de femmes artistes. Elle est donc arrivée au sein de ce collectif avec cette proposition : créer ensemble un festival pour lequel tout serait à inventer. On a été une dizaine à vouloir se lancer dans le projet. Aujourd’hui on est 6. On s’est donc mis à travailler, à réfléchir à ce qu’on avait envie de créer, comment on avait envie de le créer, comment on pouvait allier nos aspirations artistiques, nos enjeux politiques et éthiques. On a donc inventé ce WeToo festival qu’on a pensé comme un festival à la fois féministe et familial, qui puisse s’adresser à toutes et à tous et qui puisse répondre à un questionnement différent pour chaque édition avec des propositions artistiques plurisdisciplinaires.
Del : Dans notre collectif, on est nombreuses à venir du spectacle vivant, du théâtre et de la musique. Il y a aussi des autrices, des dessinatrices mais il y a un noyau dur qui vient du spectacle vivant. Cela a assez naturellement orienté le festival vers une programmation proposant beaucoup de théâtre, avec des créations et des écritures contemporaines. Mais l’aspect pluridisciplinaire reste malgré tout essentiel, il va y avoir des projections, des tables rondes, des DJ set, des rencontres avec des personnalités de la pensée féministe. C’est important de proposer ce type de contenus, très politiques, mais ça nous intéresse aussi de ne pas être que dans l’intellectuel. On peut aller voir un spectacle émouvant, drôle et qui en même temps fait progresser la pensée.
Sephora : Et chaque pièce, chaque proposition vient apporter un nouveau type de réponses aux questions qu’on se pose. C’est en ça que la pluridisciplinarité est importante.
Brunhilde : Il y a une forte dimension politique dans le festival, comment la programmation s’en ressent-elle ?
Sephora : Cela ne se ressent pas que dans la programmation, en fait. Pour nous tout est politique, ce qu’on va choisir de donner à voir mais aussi la façon dont on l’agence, la façon dont on le produit, la façon dont on le pense, tout ça fait partie du projet. Il y a ce qu’il va se passer samedi et dimanche pour la première édition du festival, mais il y a aussi tous les mois pendant lesquels on a travaillé, ces mois de pensée et de réflexion qui sont aussi très importants. Le processus de création va avoir un impact sur ce que les gens vont voir.
Del : Pour donner un exemple pratique de cette construction politique, la proposition très forte de Caroline dès le départ, c’était d’opter pour une organisation horizontale. C’est-à-dire que nous avons toutes le même statut, le même poids décisionnel au sein de l’équipe. Il n’y pas d’organisation pyramidale avec un chef et des employés qui lui obéissent. Pour nous, ça représente déjà un acte politique fort de ne pas se positionner de cette façon, parce que l’organisation pyramidale est un mode d’organisation héritée du patriarcat et même du capitalisme tel que nous le connaissons aujourd’hui. Ce qui nous intéresse, c’est de faire un pas de côté et de dire « on peut construire quelque chose d’ambitieux autrement, quitte à ce que ça prenne plus de temps ».
Sephora : On essaie d’inventer une autre manière de travailler. On cherche à voir, modestement, en tâtonnant, comment on peut créer, faire avancer nos luttes, nos enjeux politiques et tout ce qui nous tient à coeur de façon concrète, en s’organisant autrement, en incarnant la vision de la société qu’on partage toutes. Alors bien sûr, par moment il y a des petites luttes de pouvoir qui émergent parce qu’on est construites comme ça mais on arrive toujours à trouver des solutions pour les dépasser, avec toujours beaucoup de bienveillance et de sororité. Et finalement, ils nous réjouissent, ces petits accrocs, parce qu’ils nous permettent d’avancer et de nous améliorer.
Del : Le mot-clé, c’est vraiment la bienveillance. A chaque fois qu’il y a des tensions, ce qui est normal, ça fait partie de la dynamique d’un groupe, il y a toujours un moment où on arrive à en parler toutes ensemble. Et les mots ont un vrai pouvoir. Pour moi, c’est comme un ballon de baudruche qui gonfle et commence à envahir la tête de tout le monde, il suffit de faire un petit trou dedans avec un mot et tout d’un coup, le ballon dégonfle et reprend la toute petite place qui lui revient. On ressort plus fortes de ce genre de choses.
Brunhilde : comment s’est construit la programmation ?
Sephora : Elle s’est surtout construite à partir des questionnements qu’on a décidé de mettre en avant. Cette année, pour la première édition, il y en avait 3. L’éducation, d’abord : comment inventer une éducation non genrée ? Ensuite les corps et les sexualités : comment les célébrer dans l’espace public ? Et enfin, comment se manifeste le féminisme ailleurs dans le monde, en se focalisant sur l’Amérique du sud, avec notamment la performance el violador eres tú qui a enflammé le monde, et les femmes kurdes qui se battent en ce moment contre Daech au Kurdistan. A partir du moment où ces 3 grands questionnements ont été posés, la programmation s’est faite naturellement pour répondre à ces problématiques. On y répond de manière pluridisciplinaire.
Brunhilde : La programmation est-elle portée majoritairement par des femmes ?
Del : Bien sûr ! On répond aussi, par l’existence même du festival, à un besoin réel de visibilisation des artistes femmes. Quand on regarde les chiffres de l’association HF Ile de France qui a répertorié les postes à responsabilité dans le monde de la culture en les genrant, les résultats sont effroyables. C’est-à-dire qu’à tous les postes importants, quelque soit le domaine, les femmes sont systématiquement sous-représentées. Donc pour nous il était évident que, sans écarter complètement les artistes hommes, puisqu’il y en a, nous allions privilégier les artistes femmes, leur offrir une plateforme.
Brunhilde : Quel est l’état d’esprit, l’ambiance du festival ?
Del : la dimension familiale est très importante pour nous et c’est un peu notre spécificité. Il y a beaucoup de choses qui se jouent au sein de la famille, dans le féminisme, que ce soit la famille au sens où on l’entend traditionnellement, à savoir les parents avec leurs enfants, ou la famille dans un sens plus large. On fait tous partie d’une famille, même si tu n’as pas d’enfants, tu as des parents, des frères, des soeurs, des oncles, des tantes, et ça nous semblait important de faire des propositions qui puissent toucher tous les membres de la famille, qu’il y ait au moins un élément de la programmation dans lequel chacun puisse se reconnaître. Que ce soit comme des portes ouvertes pour entamer des discussions qu’on aurait eu du mal à avoir autrement.
Sephora : En fait, il s’agit aussi d’interroger ce qu’est une famille, sortir de la dimension excluante et exclusive de la famille selon le modèle hétéropatriarcal qui fait que dès que tu ne corresponds pas au schéma traditionnel, on considère que tu n’es pas une vraie famille. Ce qu’on veut, c’est que tous les gens qui sont contre toutes les formes de domination, quelque soit leur modèle familial, se sentent bienvenues.
Del : On a aussi voulu faciliter l’accès du festival, notamment aux parents isolés. On propose donc un mode de garde entièrement gratuit pour la durée de chaque spectacle. Donc tous ceux qui se disent habituellement « mince, j’aurais bien aimé aller voir tel spectacle mais je ne peux pas, j’ai mon enfant de 5 ans », chez nous il leur suffit de montrer leur ticket d’entrée et on s’occupe de leur enfant pendant la durée du spectacle.
Sephora : Ce qui est important, c’est l’accès à l’éducation, à la pensée et à la formation. Les parents isolés, ceux qui ont des difficultés sociales ou économiques, n’ont pas le temps et la disponibilité pour juste penser le monde. Leur offrir la possibilité de faire garder leur enfant le temps d’un spectacle, c’est aussi leur offrir l’opportunité de prendre le temps de réfléchir, de construire une pensée, d’avoir des relations avec des gens qui vont leur apporter des choses. Parce qu’aujourd’hui, les gens qui ont le temps de penser le monde, c’est toujours les mêmes.
Brunhilde : j’allais vous demander de me parler des temps forts du festival mais vu le soin apporté à la ligne éditoriale, ça va être compliqué de faire un choix…
Del & Sephora : c’est sûr !
Sephora : Les temps forts, c’est justement la dramaturgie globale, c’est l’agencement de tout ce qu’on propose, c’est le fait que les choses se complètent et qu’on ait à la fois des DJ set de Barbara Butch, un spectacle pour enfants et en même temps une table ronde pointue sur l’hétérosexualité et l’éducation.
Brunhilde : est-ce que vous pouvez nous parler des spectacles pour enfants, justement ? On voit souvent des pièces de théâtres ou des conférences dédiés aux adultes qui abordent toutes ces questions, moins pour les enfants, non ?
Del : il y en a, et même de plus en plus, et on avait envie justement de les mettre en avant. Pour les plus petits, il y a 2 contes qui sont des parcours initiatiques et qui ont pour point commun le fait d’avoir une héroïne qui va vivre des aventures et se sentir plus forte et autonome à la fin. Il s’agit donc de présenter aux petites filles et aux petits garçons, dès l’âge de 3 ans, qu’une fille ça peut être une super héroïne à qui on s’identifie. Il y a également un spectacle qui s’appelle Les fées se la pètent, pour les enfants dès 4 ans, un spectacle en grande partie musicale qui s’appuie sur des extraits de dessins animés et qui détournent des chansons connues des enfants pour aller interroger les clichés du genre de manière très ludique. Et enfin, la dernière proposition pour le jeune public, c’est Elle pas princesse, lui pas héros, pour les enfants à partir de 7 ans, où les enfants, en petits groupes, vont aller à la rencontre de 2 personnages. D’un côté une fille qui est ce qu’on appelle communément un garçon manqué, même si je déteste cette expression, donc une fille qui ne correspond pas aux stéréotypes. Et de l’autre un petit garçon très sensible qui a les larmes qui lui montent facilement aux yeux. Cela peut paraître un peu cliché, dit comme ça, mais l’écriture est bien plus subtile et les personnages vont à l’école donc ça parle beaucoup aux enfants.
Brunhilde : s’il devait y avoir un spectacle en particulier que les hommes pourraient aller voir pour évoluer sur toutes ces questions, ce serait lequel ?
Del & Sephora : Ah ben tous !
Sephora : notre vision de l’inclusivité, c’est justement ça. Tous nos spectacles s’adressent à toutes les personnes, binaires ou non-binaires. On ne va pas spécifiquement aller tendre la main aux hommes.
Del : De fait, tout est inclusif mais il y a une toute petite exception, c’est l’atelier réservé aux personnes se déclarant femme. C’est un choix de l’association Langue de lutte, qui organise cet atelier, et nous le respectons totalement. C’est un atelier participatif au cours duquel les participantes vont livrer des récits intimes qu’il serait difficile d’exprimer en présence d’hommes.
Sephora : Il y a des moments où la non-mixité peut aider à avancer. Ce sont des espaces de parole privilégiés qui permettent de fédérer, d’asseoir une parole, une pensée en étant en confiance et en intimité, entre femmes.
Brunhilde : Qu’aimeriez-vous que les gens se disent en repartant du festival ?
Sephora : J’aimerais qu’on ne s’adresse pas qu’à des gens qui sont déjà acquis à la cause féministe. J’aimerais attirer des personnes qui ne sont pas forcément sensibles au sujet pour que ces questions deviennent globales et collectives. Que ce ne soit pas qu’un entre-soi de féministes convaincues, que des gens qui s’interrogent encore puissent s’y sentir à leur aise.
Del : Pour moi il y a 2 éléments. Le premier, c’est qu’au milieu de tout ce qu’on a proposé, je trouverais formidable que chaque personne reparte en se disant qu’il a entendu au moins une idée nouvelle à laquelle il n’avait jamais pensé. Le deuxième, parce que je suis une éternelle optimiste, c’est que je voudrais qu’ils partent avec le sourire, avec une lueur d’espoir. Quand on se retrouve dans ce genre de lieu, on se rend compte que tous ces combats qu’on mène au quotidien, on est loin d’être seuls à les mener, qu’il y a plein de gens qui y réfléchissent, qui donnent du temps, de l’énergie, de leurs compétences pour faire avancer la cause. Même si ça semble être des petits pas par rapport à tout ce qu’il y a à changer, on se sent moins seule et donc plus forte, avec un peu plus d’espoir. C’est ce que j’aimerais faire passer.
Brunhilde : qu’avez-vous envie de dire à tous ces gens qui trouvent que les féministes d’aujourd’hui sont méchantes ?
Sephora : On n’a pas vocation à critiquer d’autres femmes mais on ne se reconnaît pas du tout dans ce discours. Je trouve au contraire qu’il n’y a pas assez de radicalité. Je ne pense pas du tout que le féminisme soit un combat contre des gens, c’est un combat contre des idées et contre un système. La problématique est systémique, elle n’est pas personnelle et individuelle. On est toutes et tous le fruit du système dans lequel on évolue, qu’on en soit victime ou bénéficiaire, tout le problème, c’est la conscientisation. Il faut voir les choses en face, admettre qu’on est dans un système qui favorise des gens au détriment d’autres. C’est pour ça que la lutte intersectionnelle est très importante, parce que la lutte contre l’homophobie, le racisme, la domination masculine ou les violences économiques et sociales, c’est la même lutte. Lutter contre une domination, c’est lutter contre toutes et c’est lutter contre un système. A partir de là, il ne peut pas y avoir trop de radicalité. Parce que ces injustices, il y en a qui en meurt tous les jours. Et ce n’est pas le fait de personnes isolées ou dérangées, c’est le fait d’un système qui cautionne, qui permet et qui entretient tout ça.
Del : Je ne me sens absolument pas concernée par ces accusations, en fait. Au contraire, dans notre fonctionnement, on est vraiment dans une bienveillance et dans une bienveillance sorore. La violence, elle vient d’ailleurs. Après, je ne suis pas surprise par ces accusations : un système violent, quand on essaye de le faire évoluer, il se sent attaqué et accuse ceux qui veulent le changer de violence. Soit. Dans ce cas je le prends comme un badge d’honneur !
Pour en savoir plus sur la programmation du WeToo festival, rendez-vous sur le site du festival, mais aussi sur Facebook ou Instagram ! Et surtout, rendez-vous ce week-end, à la cité fertile de Pantin ! Et pour y aller, c’est par ici.