Kakpotia Marie-Claire Moraldo est née en Côte d’Ivoire, dans le nord du pays, une région où l’excision est encore très répandue. A l’âge de 9 ans, elle a subi cette mutilation. Cela changera pour toujours le cours de sa vie. Il y a 3 ans, elle a créé les Orchidées Rouges, une association qui lutte contre l’excision et permet aux femmes qui en ont été victimes de se reconstruire psychologiquement et physiquement.
Pour en savoir plus sur son histoire et comprendre comment elle se bat contre cette pratique archaïque, nous sommes allées à sa rencontre, à Bordeaux, où elle a créé son association.
Mais d’abord, l’excision, c’est quoi ?
Chaque année, des millions de jeunes femmes subissent l’excision : 6 petites filles sont mutilées toutes les minutes dans le monde ! Cette pratique consiste en une ablation partielle du clitoris qui peut s’accompagner d’une ligature des petites lèvres et ou des grandes lèvres. Ces mutilations sont souvent pratiquées dans des conditions sanitaires exécrables. Cela peut avoir des conséquences très graves et même mortelles pour les femmes qui en sont victimes.
Le but de cette pratique ? il y a plusieurs raisons qui justifient l’excision mais le but principal, c’est réaffirmer la domination masculine sur les femmes et contrôler leur sexualité car le plaisir féminin est mal vu. Il faut rappeler que le clitoris est le seul organe du corps dédié uniquement au plaisir. Le mutiler, c’est vouloir priver les femmes de plaisir, mais aussi contrôler leur corps et leur sexualité.
Il est important de préciser que l’excision est une pratique rituelle qui n’a rien à voir avec la religion. Des communautés de toutes obédiences la pratique. On retrouve ce rite dans de nombreux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du sud (Côte d’Ivoire, Sénégal, Egypte, Soudan, Somalie, Guinée, Mali, Mauritanie, Inde, Indonésie, Malaisie, Pérou ou Colombie…) qui ont pourtant, pour la plupart, criminalisé cette pratique. Mais la loi reste peu appliquée car les traditions sont solidement ancrées.
Kakpotia Marie-Claire milite depuis 3 ans pour faire changer les choses. Pour y parvenir, elle mène un double combat. D’une part, elle va régulièrement en Afrique parler avec les communautés locales dans l’espoir de faire évoluer les mentalités. Mais elle accompagne aussi les femmes victimes d’excision dans leur parcours de reconstruction psychologique et physique. Elle nous raconte la genèse de ce qu’elle considère désormais comme sa mission de vie…
L’enfance africaine
Rester dans le droit chemin
« J’ai été élevé par mes grands-parents dans le nord de la Côte d’Ivoire. Quand j’étais petite, dans la maison où j’ai grandi, on n’avait ni eau courante, ni électricité. On se levait à 5h du matin, dès l’âge de 6 ans, on mettait une bassine sur la tête pour aller chercher l’eau à des kilomètres. On priait pour qu’il pleuve, pour pouvoir récupérer l’eau de pluie et avoir moins de trajet à faire. Jusqu’en 3ème, j’ai étudié avec une lampe à pétrole, j’avais des livres de récupération parce qu’on n’avait pas les moyens d’en acheter chaque année.
On n’avait rien mais on était heureux. D’ailleurs, je ne savais pas que j’étais pauvre. Il n’y avait pas de grandes fortunes autour de moi pour me le rappeler. J’étais dans une maison que j’adorais, même si elle était modeste, c’était la mienne. J’ai reçu beaucoup d’amour, même à outrance, et j’en donnais aussi beaucoup, sans me poser de questions. Par contre, mes grands-parents me mettaient toujours en garde. Pour eux, je n’étais pas une enfant normale, je devais faire encore plus attention que les autres enfants élevés par leurs parents.
Ma mère est tombée enceinte de moi à 17 ans, elle était encore élève et mes grands-parents l’ont très mal vécu. Ils voulaient qu’elle fasse des études, qu’elle soit indépendante financièrement or quand elle est tombée enceinte, elle a été virée de l’école. C’est souvent comme ça que ça se passe là-bas : les filles qui tombent enceinte, on les vire, c’est une façon de les punir. Et quand elles sont déscolarisées, si les parents n’ont pas les moyens de payer une école privée, c’est terminé pour elles. C’est ce qui s’est passé pour ma mère. J’en ai entendu parler toute ma vie, toute mon enfance, tellement mes grands-parents avaient peur que cela puisse m’arriver.
Mon grand-père me répétait, « ton premier mari, c’est tes études ». Ils voulaient que je sois indépendante. Pour lui, il ne fallait surtout pas que je sois à la merci d’un homme. Il me disait « je suis un homme, je suis bien placé pour te dire que les hommes, c’est des connards », ça peut sembler dur à entendre pour un enfant mais ses conseils, ils m’ont suivis toute ma vie. Mon grand-père voulait que je fasse des choix qui me permettent d’être autonome financièrement dans ma vie de femme adulte et que je puisse choisir un homme qui me mérite et me respecte. »
La fête triste et le grand silence
« Ma mère était contre l’excision et elle avait interdit à ses parents de me le faire. Quand j’ai eu 9 ans, j’ai voulu me rapprocher de la famille de mon père. J’avais juste une photo de lui, je ne l’avais jamais vu. J’y suis allée pour les vacances scolaires mais c’’est surtout sa famille et notamment sa grande sœur qui s’occupait de moi, lui avait autre chose à faire.
C’est comme ça qu’un matin, elle est venue me chercher pour m’emmener à une fête. Quand on y est arrivé, il y avait des filles qui faisaient la queue devant une pièce et on entrait à tour de rôle. Bizarrement, à chaque fois qu’une petite entrait dans la pièce, elle ressortait en pleurant. J’ai dit à ma cousine « c’est quand-même bizarre, cette fête. Normalement, à une fête, on rigole, on danse, on mange, et là tout le monde pleure ». Elle a rien dit et on a continué à attendre. Je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait à l’intérieur.
Mon tour est arrivé, je suis entrée dans la pièce. Elles étaient 4 à l’intérieur, elles ne m’ont pas parlé. J’ai vu du sang par terre. Y’en a une qui m’a attrapée et plaquée au sol. Deux ont attrapé chacune une jambe, une autre mes bras et la quatrième a coupé avec son couteau. Et c’était fini. Ça dure un instant, on n’a pas le temps de réaliser. Ensuite, elles applaudissent en disant « bravo tu as été courageuse ». C’est quelque chose qu’encore aujourd’hui je ne comprends pas. Il est où le courage quand on vous fait subir quelque chose que vous ne comprenez pas, sans vous demander votre avis et par surprise ?
Après je suis sortie et c’était tout. Pas d’explications, pas de soins, pas de traitements. Je ne réalisais même pas vraiment ce qui m’était arrivée. Je suis rentrée de vacances chez mes grand-parents, on n’en a pas parlé. Dans l’éducation africaine, les enfants ne posent pas de questions, je n’ai pas posé de questions. J’ai juste entendu ma grand-mère maternelle jubiler parce que j’étais enfin excisée.
Cette année, quand je suis retournée en Afrique, j’ai demandé à ma tante pourquoi elle m’avait fait ça, alors qu’elle n’avait aucun droit sur moi. C’était pas ma mère, ni ma grand-mère, on se connaissait à peine. J’en ai discuté avec beaucoup de femmes excisées et c’est quelque chose qui est partagé par toutes : quand ça vient d’une personne qui n’a aucun droit sur nous, ça rajoute à la souffrance. Elle m’a expliqué que c’était ma grand-mère maternelle qui était venue la voir pour lui demander d’organiser mon excision pendant les vacances, loin de ma mère.
Je n’en veux pas à ma grand-mère, elle m’a sauvé la vie, elle s’est sacrifiée pour moi, je sais qu’elle m’aimait et je connais le poids des traditions. Elle pensait bien faire. Comme beaucoup de grand-mères, elle était convaincue que c’était ce qu’il fallait faire, sinon je risquais de ne jamais trouver de mari. Et là-bas, sans mari, une femme n’est rien. Je sais par ma grand-mère que ma mère a pleuré en apprenant que c’était arrivé. »
Stigmates et poids des traditions
“ Après ça, j’ai continué à grandir sans que cela change quoi que ce soit pour moi. Je vais même croire que c’est normal. Dans cette région, tout le monde excise : chrétiens, musulmans, animistes. Toutes les filles autour de moi étaient excisées. C’est même le fait de ne pas être excisée qui ne semblait pas normal. Ma cousine, par exemple, a été excisée très tard et quand je la regardais nue, son clitoris me paraissait bizarre. Les traditions sont tellement fortes, là-bas. Il y a même des jeunes filles qui demandaient à être excisées pour être comme tout le monde !
C’est plus tard que j’en ai souffert. D’abord à l’adolescence, avec les campagnes de sensibilisation, j’ai entendu parler des conséquences graves que cela pouvait avoir, à m’inquiéter, à me demander si je pourrais un jour avoir un mari, un enfant ou une vie sexuelle normale. Mais c’est surtout en 2002, quand j’ai quitté ma sous-préfecture pour aller étudier à Abidjan que ça a été dur. Dans le sud du pays, il n’y a pas d’excision et ce n’est pas du tout dans les mœurs. Sachant que je venais du nord, on me faisait des réflexions du type « j’espère que t’es pas excisée, quand-même ! ». Pour la première fois, j’ai compris que ce n’était pas normal. J’ai commencé à avoir honte, à mentir pour ne pas que mes amies sachent. Ça a été très violent. D’autant qu’il y a beaucoup d’idées fausses qui circulent sur les femmes excisées. J’avais l’impression que personne ne voudrait jamais de moi.”
Grandir et prendre son envol
La guerre civile et le départ pour le Sénégal
« L’année suivante, juste avant la rentrée, je suis retournée dans le nord pour prendre quelques affaires. Mais quelques jours avant de repartir pour Abidjan, dans la nuit, on a entendu des tirs. Au matin, en allumant la télé, on a réalisé qu’il y avait eu un coup d’état manqué, que le pays était assiégé et que c’était la guerre civile. On n’était pas forcément très inquiets, il y avait déjà eu une crise en 1999 et les choses étaient rapidement revenues à la normale. Mais dans la journée, les rebelles ont commencé à s’installer dans différentes villes du pays.
Les jours d’après, on avait peur de sortir, on entendait à la télé qu’il y avait des violences, des viols, etc. Les rebelles sont passés dans les rues avec des haut-parleurs pour nous dire qu’ils ne nous voulaient pas de mal mais on avait peur de sortir de chez nous. 60% du territoire ivoirien était assiégé, c’était un no man’s land tenu par les rebelles. Abidjan était encore aux mains du gouvernement. Je me suis retrouvée bloquée dans le nord : j’avais le choix entre rejoindre le sud et risquer de me faire tuer ou bien rester dans le nord et louper mon année.
Avec ma meilleure amie, on a réussi à acheter des billets de bus, on a pris des routes cachées, par la brousse et la savane, pour éviter les barrages. Normalement, c’est maximum 7 ou 8 heures de trajet, là on a mis un jour et demi. En arrivant à Abidjan, on était épuisées, pleines de boue et de poussière mais c’était un vrai soulagement de reprendre une vie à peu près normale. Au cours de l’année, j’ai travaillé comme une dingue pour rattraper les 2 mois de cours que j’avais ratés et j’ai finalement eu mon BTS. Mais la guerre a continué et c’est devenu de plus en plus dangereux, même à Abidjan. Je ne voyais pas mon avenir dans un pays en guerre. J’ai donc quitté la Côte d’Ivoire pour le Sénégal en 2005. »
Se marier pour échapper au poids du regard des autres
« C’est là-bas que j’ai rencontré mon premier mari. Je ne lui ai pas dit tout de suite que j’étais excisée, j’avais peur de sa réaction mais finalement ça n’a pas changé son regard sur moi. Il m’a même proposé de faire de la chirurgie réparatrice. Je n’étais pas encore prête donc j’ai refusé. Lorsque notre relation a commencé à devenir sérieuse, j’ai bien vu que nos caractères étaient différents. Je savais que cela ne marcherait probablement pas, pourtant quand il m’a proposé le mariage, je n’ai pas hésité une seconde. C’était inespéré : je pensais que personne ne voudrait de moi, donc j’ai dit oui. Pour être respectée, pour me sentir normale. D’ailleurs, dès que j’ai été mariée, je n’étais plus vue de la même manière. En me mariant, je suis devenue quelqu’un d’important.
En 2007, on a quitté le Sénégal. On voulait vivre autre chose et on est venu s’installer à Marseille. On a divorcé 6 ans plus tard. Pour moi, c’était un échec, je ne voulais pas que ça se sache. Je me suis dit que j’allais refaire ma vie le plus rapidement possible. Je me suis pourrie la vie pendant 2 ans avec ça, jusqu’au jour où j’ai eu un déclic : j’ai réalisé que je ne m’occupais pas de moi mais de ce que les autres allaient penser de moi. J’ai décidé de vivre, vraiment, et d’enfin assumer mon divorce. »
Vivre sa vie, enfin
Suivre son cœur jusqu’à Bordeaux
« Au printemps 2015, je suis partie en voyage à New-York. Le jour de mon anniversaire, je me souviens que je me promenais dans les rues de la ville et je me sentais incroyablement bien. J’éprouvais des sensations et des émotions que je n’avais pas ressenti depuis très longtemps. A l’époque, ma vie à Marseille était malheureuse, j’étais divorcée dans une ville sans famille, je bossais à temps plein, j’assumais seule mon fils donc c’était dur. Malgré cela, je n’avais jamais envisagé quitter Marseille. Ce jour-là, à New-York, je me suis demandée quelle était la dernière fois que j’avais ressenti ce bien-être et je me suis souvenue que c’était à Bordeaux, un an plus tôt exactement. J’étais venue en week-end et j’avais senti quelque chose de très apaisant dans cette ville, une douceur de vivre. Je me suis dit, c’est Bordeaux, c’est là qu’il faut que j’aille. En rentrant de New-York, j’ai négocié une rupture conventionnelle et j’ai quitté Marseille pour Bordeaux en juillet 2015.»
Se reconstruire en se réparant
« L’année d’après, en 2016, je suis partie en vacances au Sénégal où j’ai rencontré un homme qui est tombé fou amoureux de moi. Il me plaisait aussi mais j’avais l’impression que son amour reposait sur quelque chose de faux puisqu’il ne savait pas que j’étais excisée. J’avais peur de lui dire mais je ne voulais pas non plus mentir alors j’ai préféré refuser d’avoir une relation avec lui. Parce que j’étais sûre qu’en l’apprenant, il me rejetterait.
C’est à cette époque que j’ai commencé à me poser la question de me reconstruire. J’en avais marre de cette angoisse, je voulais m’en libérer. Je voulais être en phase avec moi-même, pouvoir vivre une histoire d’amour pleinement, sans avoir peur, en me considérant comme une femme entière, qui mérite d’être respectée et aimée. Parce qu’au fond, je ne me pensais pas digne d’un tel amour. J’avais beau être très coquette, porter des vêtements sexy, à l’époque, je n’avais pas l’impression d’être une vraie femme.
En rentrant en France, j’ai donc pris rendez-vous pour me faire opérer à Paris. J’ai été réparée le 7 décembre 2016. C’est pour moi ma deuxième date de naissance. »
Une deuxième naissance
« Pour moi, ça a tout changé. D’abord, ça m’a permis de me retrouver, ça m’a libérée. Petit à petit, je me suis réappropriée mon identité. J’ai changé ma garde-robe, sans même m’en rendre compte, j’ai eu moins besoin de vêtements sexy pour me sentir femme. Je me sentais entière, bien dans ma peau et je n’avais plus forcément besoin d’un homme.
Pendant les mois qui ont suivi ma réparation, je me suis éclatée comme jamais , au point que lorsque j’ai rencontré mon compagnon actuel, je me suis dit « mince, pas maintenant, c’est trop tôt ! », j’avais tellement pris goût au fait de vivre pour moi ! Mais à la différence d’avant, aujourd’hui je suis en mesure d’avoir une relation apaisée avec un homme.
Surtout, depuis cette opération, comme je me sens en paix avec moi-même, j’écoute beaucoup mon intuition et la vie est devenue fluide. Je dis toujours aux femmes que j’accompagne : si on ne se sent pas en harmonie avec la direction qu’on prend, si on ne sent pas, au fond de soi, que c’est ce qu’il faut faire, c’est qu’on se trompe. La vie ne vous veut pas de mal, il faut juste savoir l’écouter.
Par exemple, depuis que je suis à Bordeaux, tout est fluide, aligné. Parce que je suis arrivée là en suivant mon instinct. Et si j’avais créé mon association ailleurs, je suis sûre que ça n’aurait pas été la même chose. »
La création de l’association
« Quand j’ai voulu me reconstruire, j’ai réalisé qu’il n’y avait rien dans la région pour venir en aide aux femmes excisées. Après mon opération, j’ai donc décidé de créer une structure pour les accompagner mais aussi pour lutter contre cette pratique en Afrique. Je ne voulais pas choisir mon combat, pour moi les 2 pans du problème sont à solutionner ensemble. Il faut à la fois militer pour que cette pratique cesse et accompagner celles qui en ont été victimes.
Cela fait 3 ans que j’ai créé l’association les orchidées rouges et je suis très heureuse de tout le chemin déjà parcouru, de toutes ces femmes qu’on a pu aider à se reconstruire. Quand on est sur la bonne voie, en harmonie avec ses valeurs personnelles, tout est naturel, c’est une évidence. Et même dans les moments difficiles, on ressent un bien-être intérieur.
D’ailleurs, tout ce que je fais avec l’association, ça me dépasse, ça me porte. Même quand c’est difficile, qu’il y a des obstacles sur la route, au fond de moi je sens que je suis exactement au bon endroit. C’est ce qu’il faut que je fasse. Il y a comme une force qui me réveille tous les matins pour me dire « vas-y ». J’ai pris des risques pour ça, j’ai quitté mon emploi en sachant que ce serait dur financièrement mais il fallait que je le fasse. C’est ma mission de vie, je suis née pour faire ce que je fais avec les Orchidées rouges . »
Les moyens d’action contre l’excision
« La Côte d’Ivoire, c’est un pays où il y a encore 38% des femmes excisées. C’est moins qu’à mon époque, mais c’est encore beaucoup trop. Pour faire baisser ce chiffre, il faut aller à la rencontre des communautés (femmes et hommes). Parler avec les personnes qui pratiquent l’excision, informer et sensibiliser les jeunes filles qui la subissent ainsi que les garçons.
Cela me fait toujours mal au cœur de voir des filles de 8 ou 10 ans qui me disent qu’elles sont excisées car même si je le sais, je réalise que le chemin est encore long et beaucoup de vies seront encore détruites avant que cette pratique disparaisse. On ne leur explique rien, elles ne savent même pas que certaines douleurs qu’elles ont sont dues à l’excision. Au cours de nos discussions, elles comprennent plus de choses. Certaines pleurent dans mes bras. D’autres réalisent que l’excision n’existe pas partout et qu’elles n’auraient pas dû subir ça, qu’elles ont le droit de vivre une vie pour elles et non pour chercher un mari. Je leur dis d’ailleurs que leur premier mari, c’est leurs études. »
Criminaliser ne suffit pas
« La criminalisation c’est une bonne chose mais ce n’est pas vraiment une victoire, parce que si l’interdiction permettait d’arrêter, cela se saurait. En Côte d’Ivoire, par exemple, c’est interdit et il y a toujours des excisions. Depuis que c’est interdit, il n’y a juste plus de festivités, ils réveillent les gamines en pleine nuit pour les exciser ni vu ni connu. Les traditions ont la peau tellement dure qu’il faut bien plus qu’une loi pour les faire cesser.
Il faut faire évoluer les mentalités. Pour cela, il faut déjà comprendre pourquoi l’excision est pratiquée. Il n’y a pas de malveillance ou de volonté de mal faire. Dans les régions où l’excision se pratique, une fille qui n’est pas excisée est une fille qui aura du mal à trouver un mari. Or, ce sont des sociétés où une femme n’est rien sans un mari. Alors pour pouvoir marier leurs filles, les familles les excisent.
De leur côté, les hommes ont peur d’épouser une fille non excisée, parce qu’ils estiment que ce sont des femmes excitées, qui tromperont leurs maris. Ils prétendent que cette pratique n’a rien à voir avec eux, que c’est un truc de bonnes femmes mais en réalité, si demain les hommes se mettaient à réclamer comme épouses des femmes non excisées, cette pratique s’arrêterait ! Il faut donc leur faire comprendre l’intérêt qu’ils auraient à épouser une femme non excisée, qui ne souffre pas à chaque rapport, qui est bien dans sa peau, aussi, qui est heureuse, entière.
Par ailleurs, il y a aussi des raisons économiques à l’excision : les exciseuses gagnent leur vie en pratiquant l’excision, de génération en génération. Pour elles, arrêter d’exciser, c’est perdre leur source de revenus. Il faut donc leur fournir un nouveau moyen de subsistance, un rôle à jouer dans la société. C’est ce qu’on projette de faire en faisan en sorte qu’elles deviennent des relais de santé, par exemple.
Il faut instaurer un vrai dialogue avec les populations. Lorsque je suis en Afrique, j’échange avec les populations (hommes comme femmes), avec les jeunes (filles comme garçon) et je vois évoluer les mentalités au fil de la discussion. Ils n’ont souvent jamais été confrontés à d’autres cultures, ils n’ont jamais entendu d’arguments contre l’excision. Ils savent pourquoi il faut le faire, moi je leur explique pourquoi il faut arrêter de le faire, pourquoi c’est dangereux, néfaste, quelles conséquences atroces cela a sur les personnes qui en sont victimes, pourquoi c’est mieux d’avoir une femme non excisée. »
L’empowerment des jeunes femmes
« Le changement, cela passera aussi par la sororité. Les femmes doivent être unies et solidaires. Elles se condamnent, elles se surveillent, elles se jugent, elles ont été conditionnées pour se juger.. J’ai subi les attaques d’autres femmes dans ma jeunesse et jusqu’à ce jour ! Il faut changer cela car la promotion des droits des femmes évoluera considérablement si une réelle sororité se met en place.
D’ailleurs, j’aimerais aussi mettre en place un système de mentoring en Afrique, pour que les jeunes filles africaines puissent avoir des modèles auxquelles se référer. Des modèles qui leur ressemblent, pour qu’elles aient envie de travailler, d’être indépendantes et qu’elles n’aient pas peur d’être ambitieuses. Je leur dis « ne cherchez pas à devenir la femme d’un millionnaire, cherchez à devenir millionnaire ! ».
Quand j’interviens là-bas, il y a des jeunes filles qui m’écrivent après ma venue pour me remercier et me dire qu’elles ont envie de devenir comme moi. Non seulement ça me donne de la force pour continuer mais surtout, je vois que c’est une source d’inspiration pour elles. Il faudrait que beaucoup d’autres femmes noires puissent rencontrer de nombreuses jeunes filles africaines pour leur donner confiance en elles, leur montrer que ça vaut le coup de se battre pour vivre leur vie et être indépendante. »
Une unité de soins à Bordeaux
« On est également en train de mettre en place à Bordeaux une unité de soins pour les femmes et les mineures victimes d’excision et de mariage forcé. Ce sera un institut régional avec des professionnels de santé, des travailleurs sociaux, des juristes pour la prise en charge socio-thérapeutique des femmes ainsi que leur insertion sociale et professionnelle.
Aujourd’hui on a le soutien de la ville de Bordeaux, du département de la Gironde, de la région Nouvelle-Aquitaine, de la direction régionale aux droits des femmes, de la fondation des femmes… Nous avons été auditionné.e.s n par la délégation aux droits des femmes du Sénat à l’automne dernier ainsi que par le secrétariat d’état aux droits des femmes l’été dernier.
Nous cherchons actuellement des locaux dans la ville de Bordeaux et nous espérons pouvoir inaugurer notre institut au mois de septembre 2020. Ce sera l’aboutissement de ce travail de 3 ans et le début de grandes actions pour les droits des femmes et des filles en France et dans le monde ! »
Pour en savoir plus sur les actions de Marie-Claire, rendez-vous sur le site de l’association Les orchidées rouges. Vous pouvez aussi soutenir son action en faisant un don via le site helloasso.
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