En 2018, Eléonore Lluna, passionnée de randonnées et de survivalisme, quitte son métier d’infirmière pour devenir instructrice de survie et animatrice de randonnée. Depuis 2 ans, elle passe donc le plus clair de son temps en pleine nature où elle partage son expérience de la survie avec tous ceux qui, comme elle, cherchent à développer leur autonomie et leur niveau de résilience.
Pour exercer ce métier en toute sécurité, elle est formée aux risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques ainsi qu’aux premiers secours en milieu éloigné, aux hémorragies massives et plaies perforantes. Une véritable experte de la survie et de la médecine en milieu extrême, donc !
Depuis le début de l’épidémie, elle a cependant troqué son matériel d’aventurière pour redevenir infirmière. L’ampleur de la crise sanitaire et la situation de pénurie dans laquelle se trouve le pays font que ses 2 métiers, le survivalisme et la médecine, n’ont jamais été aussi proches. Dans l’hôpital où elle travaille, elle met chaque jour à profit son expérience des situations extrêmes, de la débrouille et de la résilience pour traverser cette crise malgré le manque de tout.
Brunhilde a souhaité la rencontrer pour savoir ce qui l’a amenée à plonger dans l’univers aussi intrigant que passionnant du survivalisme. Elle nous a racontés d’où lui vient cette passion pour la nature et la survie.
Brunhilde : Enfant, quel était votre rapport à la nature ? Viviez-vous en ville ou la campagne ? Aviez-vous un jardin ou un potager ?
Eléonore Lluna : Enfant, j’habitais en région parisienne donc pas très nature. Par contre, je passais toutes mes vacances chez mes grands-parents dans les Alpes et j’ai énormément appris de ma figure paternelle, mon grand-père, qui était un grand passionné de nature : randonnées, bivouac, pêche, jardin… Je vois clairement d’où ça vient!
B : Avez-vous été initiée très jeune à la survie ou est-ce quelque chose qui est venu plus tard ?
J’ai démarré les randonnées en pleine nature assez jeune et, petite, mon livre de chevet c’était « Copain des bois ». Je pense que j’ai dû faire tous les types de cabanes possibles! Mes premières nuits en refuge puis sous tarp remontent à l’âge de 8 ans. Après dès que j’ai eu la possibilité de quitter Paris, je suis allée en Franche Comté et c’est là que j’ai pu renouer avec la nature. Randonnée à cheval, trail, trek, course d’orientation… et beaucoup de bivouacs avec les copains! On n’appelait pas ça de la survie, mais ça se rapproche de ce que je fais aujourd’hui, on avait juste moins de connaissances et on galérait un peu plus.
B : Quand vous est venue l’idée de changer de métier et pourquoi ?
EL : De part mon métier d’infirmière, je me suis intéressée au survivalisme et, mêlé avec ma passion pour l’outdoor, ça m’a amenée à suivre un premier stage de survie. J’ai tout de suite accroché parce que ça correspondait à ma pratique de la nature. Ajouter à ça la compréhension des mécanismes de survie, un peu de technique et de prévention, beaucoup d’autonomie et d’adaptation. Cette passion dévorante m’a occupée tous les week-end en plus de mon métier d’infirmière pendant 2 ou 3 ans.
Puis j’ai été contactée pour participer à l’émission « Wild, la course de survie » début 2017, sur M6. C’était tellement intense qu’à mon retour en France je ne me voyais plus faire autre chose et j’avais envie de partager cette passion à temps plein, ce qui s’est concrétisé quelques mois après, entre autre grâce à Damien Lecouvey, membre de la société des Explorateurs Français, qui est aujourd’hui mon associé.
B : Voyez-vous un lien entre le métier d’infirmière et le survivalisme ?
EL : Le lien ne saute peut être pas aux yeux mais pour moi il est évident. En tant qu’infirmière, on est dans le soin, mais aussi dans la prévention. J’ai beaucoup travaillé dans la formation, j’ai suivi des formations en risques NRBC, Seveso ou en gestion de crise et de pandémie. Toutes ces formations et informations m’ont fait prendre conscience qu’il existe des risques potentiellement majeurs autour de nous, en France.
C’est donc très naturellement que je me suis intéressée à prévenir ces risques, ce qui m’a très vite amenée vers le survivalisme. C’est un mot qui fait souvent peur car les gens imaginent les survivalistes comme des guerriers retranchés dans leur bunker, mais en réalité, la décroissance, le zéro déchet et l’autonomie du domicile font aussi parti de ce mouvement. Pour moi c’est à la fois être prêt en cas d’évènements inédits, être résilient, capable de s’adapter à un changement majeur, et avoir un maximum d’autonomie chez moi comme dans la nature.
B : Cultivez-vous votre jardin ?
EL : J’ai déménagé juste avant le confinement, donc je n’ai pas eu le temps de mettre en place un jardin potager malheureusement. Je suis en train de faire une butte (technique de permaculture) pour avoir quelques légumes et pommes de terre. Par contre j’ai mon poulailler qui nous fournit en œufs frais, mes enfants et moi, et quelques éléments d’autonomie : un collecteur d’eau de pluie, de quoi filtrer et traiter de l’eau, un chauffage au bois, et énormément de plantes sauvages comestibles sur mon terrain. Il suffit de faire preuve d’adaptabilité pour en profiter !
B : Quelles sont les principales qualité d’une survivaliste ?
EL : Les fondements du survivalisme c’est la résilience, la capacité à rebondir face à un effondrement. Un survivaliste devra donc être adaptable et faire preuve d’ingéniosité. Le risque ce serait d’avoir des schémas type en réponse à un problème. On ne sait pas ce qui peut arriver, donc on prévoit « large » et on improvise. Cela demande aussi de la réflexion, de la compréhension de son environnement, et une bonne capacité de coopération et collaboration avec les autres, parce qu’à plusieurs tout est plus simple.
B : Qui sont vos sources d’inspiration, survivaliste ou non, et pourquoi ?
EL : Ce qui me transporte c’est de voir des personnes au caractère fort qui mènent leur vie et leurs combats en suivant leurs convictions contre toute pression sociétale. A ce titre là, les femmes rencontrent pour le moment souvent d’avantage de freins que les hommes, mais finalement l’engagement n’a pas besoin de genre. Pour en citer quelques unes, je vais parler de Marie Curie première détentrice d’un prix Nobel et seule femme à en avoir deux. Maria Montessori qui réussit à intégrer la faculté de médecine jusqu’alors réservée aux hommes contre l’avis de son père et dans une société encore très misogyne. Elle a d’ailleurs réussi à révolutionner la vision de la pédagogie. Il y a aussi Lucie Aubrac, dont on ne présente plus le CV. Plus généralement les histoires de personnes moins célèbres sont toute aussi inspirantes.
B : En tant que femme, avez-vous l’impression de devoir faire plus vos preuves dans le milieu du survivalisme ?
EL : Le milieu du survivalisme est très majoritairement masculin, celui de la survie en pleine nature aussi, mais finalement les femmes s’y intéressent aussi. En stage, j’ai environ 40% de participantes. Malgré ce déséquilibre il n’y a pas plus de sexisme que dans les autres milieux et je n’ai pas eu la sensation d’avoir à faire mes preuves plus qu’ailleurs. Avec un peu de pédagogie et des échanges constructifs j’arrive généralement à prouver ce que je vaux !
B : Face au coronavirus, vous êtes redevenue infirmière : votre pratique du survivalisme vous a-t-elle aidé à affronter cette situation particulière, et notamment à surmonter la peur et le manque de matériel ?
EL : Ma pratique du survivalisme m’a surtout aidée à être prête et sereine chez moi, dès le début du confinement (que j’avais anticipé en me confinant quelques jours avant le début « officiel »), et donc à être pleinement disponible pour concentrer mon énergie ailleurs, et dans mon ancien métier d’infirmière en l’occurrence. Je ne suis pas dans le profil des publics les plus à risques de complication, ça me permet de relativiser par rapport au risque. Pour le manque de matériel, on improvise un peu au jour le jour : résilience on a dit !! Pour le moment on arrive à trouver des solutions pour chaque rupture qui se présente et l’entraide est très présente parmi toute la population envers l’hôpital, ça nous sauve littéralement la vie. Ayant une expérience en réanimation et avec mes compétences je n’aurais pas pu me regarder en face si je n’avais pas été en renfort à l’hôpital, ça a été une évidence.
B : Comment voyez-vous le monde d’ici 10 ans ?
EL : A mon grand désespoir je dirais « pareil mais en pire ». On arrive au bout de ce que la planète peut nous donner (on l’a même clairement dépassé) et cette crise aurait pu être l’occasion de réviser nos priorités et de voir en face les défaillances de notre système. La récession qui arrive va être dramatique, de nombreux entrepreneurs ne s’en relèveront pas. Les pandémies vont revenir de manière plus régulières, il nous sera nécessaire de garder des automatismes en terme d’hygiène et de distanciation sociale et il est possible qu’on se trouve à nouveau dans des besoins de confinement dans la décennie à venir.
Cependant, j’imagine que quelques mentalités individuelles vont changer pour chercher plus d’autonomie, une consommation plus raisonnée, plus locale, plus éthique et respectueuse. Si on y met tous du notre et qu’on arrive à s’entraider ce sera un moindre mal.
B: Quels sont vos livres de chevet, ceux que vous conseilleriez à ceux qui s’intéressent au survivalisme ?
EL : J’ai une bibliothèque bien fournie. Il y a quelques bibles:
– Aventure et survie de John Lofty Wiseman, hyper complet et dense
– Rues Barbares (introuvable à ce jour) de Piero San Giorgio et Vol West pour le côté survivalisme urbain
– Redécouvrez le chasseur cueilleur qui est en vous (le mien!) pour une approche plus familiale et tout publique de l’autonomie en pleine nature.
Pour en savoir plus sur Eleonore, vous pouvez visionner son interview pour Simone Media :
Et sinon, retrouvez-la sur instagram et Facebook
Si vous souhaitez préparer votre prochain stage de survie en pleine nature, dès la sortie du confinement, c’est ici !