Créatrice, dessinatrice, photographe, musicienne, vidéaste… Valérie Moënne a vécu plusieurs vies avant de créer Marie Antoilette, une marque de collants au style unique et onirique, fabriqués en France et en famille. Elle nous a raconté son parcours, ses sources d’inspiration et les valeurs qu’elle veut partager à travers ses créations.
Au commencement, un esprit libre
Valérie Moënne est originaire de Lyon, où elle a toujours vécu. Elle a notamment étudié au conservatoire de musique de la ville ainsi qu’à l’école d’art Emile Cohl. Elle y a obtenu son diplôme avec une mention spéciale du jury pour son humour et la diversité des techniques employées. Un état d’esprit qui ne la quittera jamais et deviendra même un atout essentiel dans sa carrière.
Prendre son indépendance
A l’issue de ses études, elle travaille quelques mois dans une grande enseigne culturelle, au rayon musique du monde. La musique, les clients, l’univers dans lequel elle évolue lui correspondent, mais elle se sent enfermée dans ce statut de salarié. Son truc à elle, c’est plutôt la liberté.
Valérie : « J’aime beaucoup les gens, j’arrive toujours à les trouver gentils même quand ils sont odieux, mais arriver à l’heure, avoir des comptes à rendre, en revanche, c’est pas possible. Au bout de 9 mois, je me suis dit « soit tu passes ta vie ici et tu ne dessineras plus jamais, soit tant pis, t’arrêtes, tu manges un croissant un jour sur deux mais tu vis, vraiment ». Pour certains, c’est la peur de l’insécurité qui est insupportable, pour moi c’est le fait de devoir arriver à l’heure. Donc j’ai créé mon atelier et j’ai fait ce que je voulais. Parfois je gagnais très bien ma vie, parfois c’était compliqué mais au moins, je faisais ce que j’aimais. Un artiste, c’est un entrepreneur. Il doit savoir vivre avec l’angoisse du mois où il ne sera pas payé. »
Enfance et musique
Rapidement, elle commence à travailler pour une maison de disque parisienne qui lui commande des pochettes de livre-disque pour enfants, ainsi qu’avec une compagnie de théâtre musical de Lyon. Pour eux, elle réalise des visuels, des décors, des affiches ou encore des films d’animation en pâte à modeler.
(c) Marie Antoilette
Valérie : « C’était une époque assez géniale, on faisait des spectacles electro-acoustique, des festivals, on expérimentait des choses, on proposait des trucs fous ! Je travaillais avec 12 musiciens, parmi lesquelles Steve Waring, Alain Gibert, Guy Villerd, qui faisaient des spectacles pour enfants. C’était un univers un peu jazz, un peu expérimental, totalement libre. Certains spectacles ont pas mal tourné en France, au Canada, aux Etats-Unis. »
Broder autour du réel
Elle travaille avec ce groupe durant de nombreuses années puis elle s’engage dans un projet pédagogique impliquant la ville de Lyon et le ministère de l’éducation nationale. Mais elle constate que les choses sont de plus en plus cadrées et formatées. Le plaisir et le jeu se transforment en méthodes d’apprentissage, on tente d’influencer le travail des artistes, d’en faire des enseignants, et ce faisant, la spontanéité disparaît.
Valérie : « Quand on travaille avec des enfants, il faut jouer avec l’imaginaire, broder autour du réel, être dans l’instant. Par exemple, si un enfant cesse de suivre et se met à jouer avec un caillou, l’artiste va pouvoir broder autour de ce caillou, entraîner tout le monde. L’enfant qui ne suivait plus devient alors meneur, d’autres qui décrochaient reviennent dans le spectacle. Comme il n’y a pas de mots ou de thèmes imposés, l’artiste peut partir dans tous les sens, s’adapter aux enfants et c’est là qu’il se passe des choses passionnantes. Si on impose un plan, des thèmes, des mots à apprendre, ça perd tout son sens. »
Toutes ces contraintes achèvent de lui donner envie d’autre chose…
(c) Marie Antoilette
Quand tout conspire à faire naître une idée
Elle veut renouer avec le dessin, replonger dans son univers à elle, quitter le monde de l’enfance pour revenir parmi les adultes. Et, une fois de plus, ne faire que ce qu’elle aime, sans avoir de comptes à rendre.
Valérie : « J’ai fait des choses formidables durant toutes ces années, peut-être trop, même. Mais à un moment, j’ai eu envie d’autre chose. Ça faisait 20 ans que je ne bossais que pour les enfants, que je leur consacrais tout mon temps et je n’en pouvais plus. Mes enfants étaient grands, ils étaient partis à la fac et j’ai eu envie de changer complètement d’univers. J’avais envie de parler à un autre public. C’est là que mon frère est revenu de Chine avec des collants imprimés. Il m’a dit « t’as pas envie de faire une petite collection ? Quand tu étais jeune, tu portais tous le temps des collants un peu fous. » Et je me suis dit pourquoi pas ? »
(c) Marie Antoilette
Un succès aussi immédiat qu’inattendu
L’idée naît ainsi, d’un heureux concours de circonstance, et en 2011, Valérie crée sa première collection de collants imprimés avec ses dessins, qu’elle présente lors d’une exposition spéciale au Village des Créateurs, à Lyon. C’est un véritable succès.
Valérie : « Tout le monde se les ait arrachés, j’ai pas compris ce qui se passait, j’ai même eu un article dans le magazine Elle alors que je ne connaissais rien à rien ! Je me suis donc tournée vers tous les organismes possibles pour m’aider à me structurer : le CIDFF, le club des entrepreneurs, j’ai tapé à toutes les portes sans aucun complexe. J’ai glané tout ce que je pouvais comme aides et comme informations. »
Ces aides précieuses lui permettent de se développer et d’ouvrir une première boutique où présenter et vendre ses créations, à Lyon. Toutes les pièces se vendent en très peu de temps, ce qui l’encourage à créer de nouveaux modèles.
Toutes des muses
Pour trouver l’inspiration, elle observe les femmes autour d’elle. Quand elle crée, elle pense à celle croisée dans le métro l’autre jour ou dans la rue un matin. Elle se demande quel univers leur correspond, quels motifs sublimeraient leurs jambes. Ses muses, ce sont elles, toutes ces inconnues, sa fille, ses amies…
Hasard et impertinence, histoire d’un nom
Avec sa marque, Valérie voulait proposer un univers à la fois irrévérencieux et élégant. Quelque chose de coloré, de poétique, d’impertinent mais également empreint de joie de vivre. Elle cherchait un nom qui traduise tout cela.
Valérie : « Comme je voulais évoquer l’élégance à la française, je suis naturellement allée vers des prénoms de reine. J’avais pensé à Pompadour, mais c’était trop lourd. En revanche, je ne connaissais pas bien le personnage de Marie-Antoinette, je connaissais l’histoire des brioches et comme je me situais plutôt du côté des révolutionnaires, je ne l’aimais pas particulièrement. C’est le hasard qui m’a amené à elle. Un jour, mon fils a dit « Marie, aux toilettes ! » et j’ai compris « Marie Antoilette ». Et voilà, c’est parti de là ! Depuis j’ai beaucoup lu sur elle, la biographie de Stephen Sweig, par exemple, est incroyable. Aujourd’hui j’adore ce personnage, c’est une femme fabuleuse ! »
Valérie aime à penser que Marie-Antoinette, reine de France, aurait aimé être son égérie, qu’elle aurait apprécié le jeu de mot, les collants et son univers malicieusement rock n’ roll.
Valérie : « Elle aussi voulait être libre, s’extirper des carcans qu’on lui imposait. Elle avait aussi beaucoup d’humour, parce qu’il en faut pour vivre dans la pression et réussir à s’en détacher. C’est un personnage qui est parfait pour notre univers. »
(c) Marie Antoilette
Des rencontres, partout, toujours
La première collection a été fabriquée en Asie, faute de moyen pour faire fabriquer en Europe, mais Valérie n’était pas satisfaite du résultat. Les collants étaient certes beaux, mais les couleurs lui semblaient ternes, les fibres pochaient aux genoux, certaines tailles étaient manquantes. Le fait de ne pas savoir comment étaient réellement fabriqués ses collants la dérangeait également. Elle cherche donc à relocaliser sa production.
Des collants fabriqués en France
Valérie : « Je cherchais une base de collants qui ne soit pas chinoise. Je suis allée en Italie mais j’ai eu beaucoup de mal à trouver des gens qui me prennent au sérieux : je n’y connaissais rien, je ne parlais pas italien et j’étais une femme, donc je cumulais les mauvais points. Et puis il y a un gars en France qui m’a appelée. Il fabriquait des collants, il avait vu les miens et me disait qu’il pouvait faire beaucoup mieux. Comme sa femme avait adoré mes collants, il m’a invité à venir le voir et on a commencé à travailler sur une petite collection. On a fait en sorte d’élaborer le produit parfait. »
Une impression parfaite
Pour améliorer la qualité d’impression des collants, Valérie et son fils Valens ont également conçu un procédé d’impression unique : l’impression par sublimation thermique. En 2019, ils ont fait l’acquisition de leur première presse à sublimation faite sur mesure, en France, ce qui leur permet de maîtriser eux-mêmes cette étape essentielle de la fabrication des produits.
Valérie : « En France, on est aujourd’hui les seuls à imprimer des collants et la qualité est réellement incomparable ! Maîtriser tout le process, c’est une vraie liberté qui permet bien plus de créativité. Par exemple, ça nous permet de faire des dessins différents selon les tailles. Avant, certaines femmes me disaient que sur elles, les pâquerettes devenaient des marguerites, on a donc travaillé là-dessus. Ça aussi, on est les seuls à le faire. »
Un packaging recyclable et local
Les packagings dans lesquelles sont livrés les collants sont également fabriquées en France, dans l’Ain, pas très loin de chez eux, avec des matériaux recyclables.
Valérie : « Je suis bio depuis toujours donc c’est essentiel pour moi de fabriquer de manière éthique et respectueuse de l’environnement. On a toujours essayé de faire le plus local possible. Mais ce n’est pas seulement parce que je trouve que les français travaillent mieux, c’est aussi pour pouvoir expliquer, parler avec les gens. J’aime rencontrer les gens ! Quand on travaille avec l’autre bout du monde, c’est impossible. »
Entreprendre en famille
Marie Antoilette, c’est aussi une histoire de famille. Valérie travaille aujourd’hui avec sa fille, Opaline, son fils, Valens, et son gendre, Vincent. Chacun apporte son savoir-faire, ses idées.
Valérie : « Ma fille a été égérie et mannequin au début, maintenant elle fait du design textile. Elle a un CAP couture, elle fait donc toutes les recherches textiles et les prototypes design. Son compagnon, Vincent, travaille aussi avec nous. Il s’est s’occupé de la logistique et est un mathématicien sur-diplômé pour le poste qu’il occupe, mais ces compétences en gestion et en mécanique sont un atout maître pour le travail qu’il accomplit à l’atelier. Mon fils a un profil plus technique, il a fait des études d’informatique et s’occupe notamment du site de la marque. On travaille tous les 4 ensemble, à plein temps. »
Comme naissent les entreprises familiales
Une manière de fonctionner qui n’est pas nouvelle pour Valérie et ses enfants, qui ont toujours accompagné leur mère dans ses différentes aventures professionnelles.
Valérie : « En fait, mes enfants ont toujours travaillé avec moi. C’est aussi parce que j’ai eu des enfants jeunes et que j’étais souvent seule à m’en occuper, je les gardais donc avec moi, c’était un peu de la débrouillade. Mais du coup ils ont toujours été impliqué dans mes activités. C’est comme ça que naissent les entreprises familiales. Même si cette entreprise, au départ, n’était pas celle des collants, on était déjà dans la créativité, on était déjà ensemble. »
Une manière de fonctionner qui a toujours semblé absolument naturel à tous ceux qui travaillaient avec Valérie dans le milieu de la musique et du théâtre. Pourtant, au début de Marie Antoilette, l’absence de mari semblait intriguer leurs interlocuteurs.
Valérie : « Il y a des choses qui nous ont agacés au début. Par exemple, on nous demandait toujours, de façon systématique, ce que faisait mon mari dans l’entreprise. On pensait que c’était lui qui gérait l’entreprise et que nous, je ne sais pas, on s’amusait. Je disais que non, il n’y avait pas de mari, et les gens étaient toujours étonnés. Mais c’est en train d’évoluer. On nous en parle de moins en moins souvent. »
L’avenir de Marie Antoilette
Les collants Marie Antoilette ont déjà reçu le prix de la Lingerie Intima Créateur au salon international de la lingerie en 2014, le prix « Coup de coeur » LVE, de la ville de Lyon en 2014 et le prix Coup de coeur du Cygne d’Or décerné par le Val de Saône aux entreprises en 2016. Nul doute que d’autres prix viendront bientôt s’ajouter à cette liste.
Aujourd’hui, la marque est vendue dans 250 boutiques en France et 150 boutiques à l’international. Dans les années à venir, Valérie aimerait en avoir 250 à l’international. Pour cela, elle compte notamment sur de nouvelles clientes en Asie.
Valérie : « En Asie, on adore nos collants ! D’ailleurs, on part bientôt au Japon tous ensemble pour un salon. Au début, je ne voulais pas y aller pour des raisons écologiques mais mes enfants m’ont convaincue. Après tout, c’est un voyage qu’on ne fait qu’une fois dans sa vie ! »
L’imagination sans limite
Quant aux futures collections, Marie Antoilette propose déjà des kimonos réversibles, des foulards, des t-shirts, des robes ou encore des coussins en plus des collants et toute l’équipe cherche de nouvelles idées pour décliner l’univers visuel de Valérie.
Valérie : « Ma fille fait beaucoup de recherche pour adapter les motifs sur d’autres types de produits. Du côté des garçons, ça insiste pour créer des pièces masculines. J’ai l’impression qu’il va y avoir un putsch mais je n’arrive pas à dessiner pour les garçons, je ne sais pas faire. Ça viendra peut-être en faisant venir un garçon dans l’équipe ? Reste notre nom, très féminin… »
Qui sait où l’inspiration de Valérie la conduira, quels contes, quelles fleurs, quelles histoires fantastiques viendront se raconter sur ses créations ? Une chose est sûre, elle a bien l’intention de continuer à nous enchanter, nous inspirer et, qui sait, peut-être qu’à l’avenir, il y aura même de la place pour les hommes dans ce monde de reine audacieuse et impertinente…
Vous pouvez retrouver les collants Marie Antoilette sur l’e-shop de la marque :
https://www.marieantoilette.net/eshop/
Marie Antoilette est aussi sur Instagram et sur Facebook
Photos : Marie Antoilette