Il y a les collectionneurs d’endroits. Ils tiennent le compte précis et méticuleux du nombre de pays visités. Ils ont des buckets listes de voyages à venir, des plus belles villes du monde, des meilleurs plats d’Asie, des plus grands monuments d’Amérique, des plus beaux animaux d’Afrique. Ils font de leurs voyages des chiffres à assembler, soustraire et diviser. Ils comptent dessus pour exister.
Il y a les voyageurs rituels. Ceux qui, chaque année, partent au même endroit, au même moment avec les mêmes personnes. Ils voyagent pour la douceur des retrouvailles, la confortable assurance d’arriver chaque fois au bon endroit. Pourquoi partir ailleurs quand ici tout est parfait ?
Il y a les voyageurs extrêmes. Ceux des hauts sommets, des abysses, des contrées cruelles, des climats hostiles, des grandes solitudes. Mal dormir, avoir froid, se blesser, jeûner, être piqué, mordu ou pourchassé, sentir la fièvre monter. Risquer de se sentir vivant.
Il y a les hédonistes. Les testeurs de plages du monde entier, d’hôtels magnifiques, de clubs branchés et de restaurants étoilés. Ceux qui veulent savourer la joie d’être au centre de toutes les attentions, embrasser le calme, le luxe et la volupté. Sentir la chaleur du soleil sur la peau, tester d’innombrables saveurs, écouter le bruit des vagues, se perdre dans le bleu du ciel et de la mer.
Il y a les fuyards. Ceux qui veulent juste partir, si possible au bout du monde. Ils espèrent trouver là-bas ce qu’ils cherchent en vain ici. Un sens, une idée, un signe, une intensité. Leur quête étant vaine, elle sera sans fin.
Il y a les frénétiques. Ceux qui savent que demain, peut-être, ils ne seront plus là, il n’y aura plus d’avion pour voler ou bien la terre aura ravalé ses merveilles, alors il faut tout voir aujourd’hui, tout vivre, tout goûter, tout immortaliser, ranger les plus beaux coins du monde dans un coin de sa tête.
Il y a les rêveurs. Ceux qui fabriquent leur voyage, longtemps à l’avance. Leur périple commence bien avant le départ. Ils imaginent, comparent, explorent à distance, choisissent le meilleur itinéraire, l’hôtel le mieux situé, la plage la moins fréquentée. Ils prévoient pour ne pas être déçus. Ils optimisent. Ils s’assurent que chaque moment vaudra la peine d’être vécu.
Il y a ceux qui se laissent porter. Ils laissent à d’autres le soin de décider pour eux. Monter dans un train, descendre d’un avion, goûter, admirer, écouter, attendre ou s’extasier. L’expertise des autres les rassurent. Ils voyagent comme on regarde un film, en sachant que quoiqu’il arrive, ils ne risquent rien.
Il y a les voyageurs immobiles. Ceux que le mouvement fatigue, ennuie ou terrorise. Ceux qui voyagent en livres, en films, en souvenirs. Il y a ceux qui à seuls sont un voyage. Pas besoin de bouger pour se mouvoir ou s’émouvoir. Il suffit de les écouter.
Et puis il y a les aventuriers. Ceux qui improvisent un billet, un sac, une tente à poser n’importe où. Laisser le hasard les guider, peut-être au bon endroit mais rien n’est moins sûr. Tester sa bonne étoile, sa résilience. Lâcher prise, accepter de ne rien contrôler. S’immerger dans l’ailleurs, le laisser faire de nous ce qu’il veut.
On voyage pour le rêve. Le chercher, le poursuivre.
Pour le réel. Le découvrir ou le fuir.
Pour l’inconnu. L’imaginer, le rencontrer.
Pour le sauvage. Qu’il nous dompte et nous remette à notre place.
Pour l’immensité. La toucher du bout des doigts.
Pour le danger. L’approcher, le laisser nous frôler.
Pour ouvrir les yeux, respirer plus fort, avoir le souffle coupé.
Pour se reposer de sa réalité, s’en extirper, la regarder de loin et la comprendre, enfin.