Ôboem, c’est une start-up géniale et audacieuse créée par Marie et Oliver, deux passionnés de voyage qui cherchaient une manière de transformer la ville grâce à l’art. Pour y parvenir, leur idée est simple : changer la ville et l’état d’esprit de ses habitants en remplaçant la publicité par des œuvres d’artistes émergents grâce au financement participatif. Un projet né d’un voyage et d’une envie de créer quelque chose qui ait du sens.
Oliver est anglais et corse, il a grandi à Ajaccio puis a vécu quelques années en Amérique latine avant de revenir s’installer en France. Après 7 années passées à travailler dans l’e-commerce pour une grande société, il a eu envie d’autre chose.
Marie est bordelaise. Elle a fait des études de commerce internationale, a étudié en Angleterre puis a travaillé quelques années dans une petite entreprise familiale d’import/export.
« En 2015, j’ai voulu créer ma propre entreprise, explique Oliver, mais je cherchais un projet qui ait du sens. Je n’avais pas vraiment d’idée précise, ou plutôt j’en changeais tous les jours. Et puis j’ai rencontré Marie à Paris. Elle venait de quitter son entreprise et cherchait un nouveau projet professionnel. Elle aussi voulait faire quelque chose qui avait du sens. On a décidé de tout plaquer et de partir en voyage sans billet de retours. »
Ils partent en Amérique du sud pour un voyage de 11 mois. Un voyage grâce auquel ils espèrent trouver l’inspiration, une direction, un sens. Car c’est aussi ce que permet le voyage : remettre tout à plat, ne pas avoir de pression culturelle et familiale, prendre un peu de hauteur, voir sa vie de loin, analyser ce qu’on a vraiment envie de faire, s’inspirer d’autres cultures, aller chercher ailleurs quelque chose qui n’existe pas encore et qu’on n’aurait pas pu imaginer ici.
À la croisée de 3 grandes idées
Changer la ville et la vie de ceux qui l’habitent
« C’est dans la ville de Valparaiso, au Chili, qu’on a eu le déclic. La ville est pleine de fresques de street-artistes, notamment dans le quartier qui s’appelle la galerie à ciel ouvert. C’est une vision de la ville différente, humaine, poétique et inspirante, autrement plus joyeuse que les murs gris qu’on voit partout. Toutes ces couleurs, ça permet un vrai moment d’évasion. On a été frappé par cet endroit, on a donc cherché un moyen de ramener ça en France. »
Une maison de Valparaiso
Le projet consiste non seulement à offrir un cadre de vie unique et magnifique aux habitants d’une ville et à créer une émotion inattendue mais c’est aussi une manière de démocratiser l’art.
« C’est très important d’amener la culture dans la rue car même si en France, on a une offre culturelle et artistique plutôt riche, c’est souvent dans des musées ou dans des galeries. Ça nécessite donc de rentrer dedans, c’est une démarche qui peut intimider ou nécessiter du temps que les gens n’ont pas ou ne prennent pas. En amenant l’art dans la rue, on crée de l’émotion, une réflexion, qu’on aime ou qu’on n’aime pas l’œuvre en question. »
Une rue de Valparaiso
Remplacer la publicité par de l’art
« On a un avis assez tranché sur les contenus publicitaires qui poussent à surconsommer, à mal manger, qui fabriquent des désirs complètement superflus entraînant beaucoup de frustration et une vision fausse de la société. »
Le problème de la publicité dans la rue, pour Marie et Oliver, c’est qu’elle nous est imposée. Une publicité diffusée dans un magazine, à la télévision ou sur un site internet, on est allé la chercher. On a choisi d’ouvrir ce magazine, d’allumer la télé ou de visiter ce site. Mais la rue, c’est un espace publique qui appartient à tous et dans lequel on devrait pouvoir évoluer librement, sans se voir imposer des messages consuméristes.
Là-bas – Isabelle Trichelieu – Ôboem
« Et puis, le problème avec la publicité, c’est la manière de communiquer. En soi, si on fabrique un beau produit, c’est normal de vouloir le faire connaître et le vendre, mais les méthodes utilisées par l’industrie publicitaire, l’utilisation de corps parfaits, cette façon de tout normaliser, de tout mettre dans des cases, sans compter la pollution visuelle… tout ce qui, au final, crée de la frustration, du complexe, c’est ça qui nous dérange. »
De ce constat est née l’idée de remplacer les messages publicitaires et l’uniformisation qu’ils provoquent par une œuvre d’art qui sort de l’ordinaire, qui nous transporte ailleurs, nous emmène dans un coin de notre tête qui nous est inconnu, qui nous fait ressentir des émotions nouvelles que l’on cherche à comprendre. Au lieu de recevoir un message formaté, on reçoit la possibilité de s’interroger afin de sortir des cases dans lesquels on nous enferme habituellement.
#Springbreak – Basto – Ôboem
Miser sur l’intelligence collective
La dimension solidaire est également un élément important de la réflexion de Marie et Oliver. L’idée de changer les choses ensemble, en misant sur la force du collectif est au centre de leur projet.
« L’avènement du financement participatif nous a beaucoup inspiré. L’idée que si on se rassemble autour d’une bonne idée, on peut changer le statu quo, casser les codes. Comme l’affichage publicitaire dont on se dit habituellement qu’il est réservé aux grandes entreprises qui ont des budgets marketing énormes, et pas à de petits artistes émergents. Nous on s’est dit « peut-être qu’en vendant de l’art, en s’y mettant tous ensemble, on peut changer ça ».
Car quand on choisit de soutenir Ôboem, il ne s’agit pas d’une simple campagne de crowdfunding. On achète un véritable objet tangible qu’on peut ensuite accrocher chez soi, et en l’achetant, on participe à quelque chose de plus grand, qui va permettre à un artiste d’être affiché dans la ville et aux habitants d’avoir accès à son art. C’est donc un achat qui a du sens à plusieurs niveaux.
HuskMitNavn – Ôboem
Le mécénat participatif au service de la ville
Ôboem est née de la fusion de ces 3 grandes idées : embellir la ville, remplacer la publicité par de l’art, miser sur le financement participatif. « On s’est dit : pourquoi ne pas utiliser les espaces publicitaires pour diffuser des oeuvres d’art et transformer la ville en utilisant le financement participatif ? »
L’idée posée, il fallait encore en définir les contours et le mode d’application. Un travail long et fastidieux, que l’on doit poursuivre malgré les doutes d’un entourage qui ne comprend pas toujours où on veut en venir.
« Au départ, on essayait de présenter notre idée à nos amis et à notre famille qui ne comprenaient pas vraiment ce qu’on voulait faire. Maintenant que c’est fait, qu’on a trouvé les bons mots et initié le projet, c’est simple à comprendre, mais au début, c’était très abstrait. Il fallait donc faire maturer l’idée, trouver une manière de la faire fonctionner, de la mettre en application et définir un modèle économique parce que même s’il y a une forte base philosophique dans ce projet, on veut aussi être une entreprise rentable ! »
C’est le principe de l’audace. Quand une chose a été faite, qu’elle existe et qu’elle fait partie du paysage, tout le monde la trouve parfaitement à sa place. Elle est là et ça semble normal. Mais il a d’abord fallu l’imaginer, cette chose un peu folle, se dire je vais le faire, ce truc qui n’existe pas encore. À un moment où personne n’y croit, où personne ne comprend ce qu’on veut faire et pourquoi, il faut oser et persévérer.
« On est parti de rien. On avait 5000€ d’apport personnel, qui ont servi à la mise en place du projet. On a bricolé un site comme on pouvait et c’était parti ! Marie est tombée enceinte la semaine où on a déposé les statuts donc tout est arrivé en même temps dans notre vie. Aujourd’hui on est tous les 2 associés et parents, on explore, on s’adapte. C’est épuisant, mais il faut toujours garder le même niveau d’énergie ! »
Ingunn Viste – Ôboem
Le fonctionnement d’Ôboem
Le mécénat participatif
« On a créé un système de mécénat participatif. On présente des collections d’artistes pendant 3 mois. Pour chacun d’entre eux, on peut acheter une reproduction, dont le prix va de 10 à 100€. À la fin de la campagne, on utilise 50% des recettes pour acheter des espaces publicitaires. Les gens qui achètent des reproductions sur Ôboem, c’est un peu comme s’ils achetaient de l’espace publicitaire pour y afficher cette oeuvre. »
Acheter une oeuvre sur Ôboem, c’est non seulement investir dans l’art en s’offrant une œuvre à un prix abordable, mais c’est aussi soutenir un artiste, lui permettre d’être exposé auprès de milliers de gens et soutenir une entreprise innovante et bienveillante, qui embellit le paysage urbain et change notre rapport à l’image et au monde.
À l’heure actuelle, c’est Marie et Oliver qui choisissent les œuvres et les artistes mais ils ne tiennent pas nécessairement à ce que cela reste ainsi. « À terme, on envisage la création de thématiques et on aimerait travailler avec un réseau de curateurs ou avec la communauté Ôboem qui pourrait nous présenter des artistes qu’elle aime. Des artistes peuvent aussi nous proposer leurs propres oeuvres. On est très ouverts ! »
Sonny Ross – Ôboem
Le choix de Bordeaux
« En rentrant de voyage, on a fait une petite pause à Ajaccio pour préciser notre idée puis, rapidement, on a eu la sensation que pour développer le projet, il fallait bouger, s’installer dans un endroit porteur. »
Marie et Oliver quittent alors Ajaccio pour Bordeaux, la ville natale de Marie. Ils s’installent dans la pépinière de l’écosystème Darwin où il trouve un cadre idéal pour entreprendre et trouver l’émulation nécessaire au développement de leur projet.
« Cette ville est un bon ancrage pour notre projet. Elle offre un équilibre parfait : on est proche de la nature et de l’océan, c’est une ville très belle, l’offre en matière de culture est riche, et puis il y a une énergie créatrice dans cette ville, un vrai dynamisme entrepreunarial, avec des projets qui ont du sens ».
La ville de Bordeaux soutient d’ailleurs Ôboem en mettant régulièrement à la disposition de Marie et Oliver des espaces publicitaires. Ôboem y a déjà réalisé plusieurs campagnes qui ont reçu un bel accueil de la part des habitants. « On a fait une campagne de mécénat participatif ainsi qu’une campagne en décembre, Contre-courant, avec la ville de Bordeaux qui a offert des espaces publicitaires. On est allé chercher des illustrateurs un peu satiriques, des images qu’on voit beaucoup sur Facebook, rarement ailleurs. L’idée, c’était de les rendre accessibles à tous, dans la rue. »
D’autres projets sont en cours, avec d’autres villes. Marie et Oliver réfléchissent aussi à d’autres modèles qui pourraient compléter le mécénat participatif.
« Pour l’instant, nos marges sont minimes. On utilise 50% de nos ventes pour l’achat d’espace publicitaire. Avec la rémunération de l’artiste, il reste très peu de marge pour nous. C’est donc un modèle généreux, il faut maintenant trouver des modèles parallèles qui nous permettent de survivre ! On réfléchit par exemple à une offre de mécénat dédiée aux entreprises qui pourraient payer des campagnes Ôboem afin de diffuser une œuvre. Le nom de l’entreprise serait mentionné sur les affiches. »
Il s’agirait donc d’inciter les entreprises à préférer le mécénat à la publicité en leur offrant de nouvelles façons de communiquer, différenciantes, valorisantes et inspirantes.
« On imagine aussi un moyen de lier ces deux idées : utiliser les espaces que la ville de Bordeaux met à notre disposition et le modèle de mécénat d’entreprise pour obtenir un modèle économique qui fonctionne. On est en plein tâtonnements, on est très ouverts à de nouvelles idées, si tant est qu’elles respectent nos valeurs et notre idée première. »
SkyArt Barcelona, Thomas Lamadieu – Ôboem
La recherche d’investisseurs
Pour développer ces idées et imaginer de nouveaux modèles, Marie et Oliver cherchent des investisseurs, avec une idée assez précise de la personne idéale pour les accompagner.
« On aimerait quelqu’un qui s’intéresse à l’art, qui soit en accord avec la philosophie et les valeurs du projet, qui nous laisserait notre liberté tout en nous apportant un réseau artistique et des conseils. »
Ils ont conscience que leur projet n’intéressera peut-être pas les fonds d’investissements classiques, à la recherche de modèles scalables avec lesquels ils sont sûrs de gagner 10 fois leur mise au bout de 5 ans : « On veut être rentable mais on n’est pas sur un modèle exponentiel. Aujourd’hui, on a surtout besoin d’investir un peu d’argent pour se faire connaître et devenir un réflexe, une référence pour ceux qui cherchent à acheter des œuvres d’art tout en faisant une bonne action. »
Et l’avenir…
Pour les 5 prochaines années, l’objectif de Marie et Oliver est à la fois sobre et ambitieux : ils aimeraient pouvoir se verser un salaire et employer quelques personnes pour leur permettre de développer le projet.
« On aimerait avoir une équipe, garder le principe de mécénat participatif, développer des projets de campagnes avec d’autres villes en France ou ailleurs. On pourrait imaginer des partenariats plus importants comme avec le ministère de la culture du Mexique ou un autre pays qui voudrait faire connaître ses artistes dans les rues à Paris. »
D’un point de vue philosophique, Ôboem n’a pas fini de surprendre grâce au foisonnement d’idées et de projets de ses deux fondateurs.
« Notre philosophie, c’est la ville et ce qu’on fait d’elle donc on peut imaginer beaucoup de choses autour de cette idée : mêler ville et culture, démocratiser l’art, le sortir des musées, le rendre plus accessible, faire en sorte qu’il fasse partie du quotidien, qu’il remplace les messages consuméristes. On n’est pas du tout figé sur un seul modèle, on a l’esprit ouvert, on veut favoriser l’art dans l’espace public, pour tous. »
Husk Mit Navn – Oboem
Quelques sources d’inspiration
Dans différentes villes du monde, des initiatives similaires à Ôboem ont déjà vu le jour par le passé. Elles ont démontré à quel point l’art peut changer les lieux et les êtres.
Bushwick Collective
À Brooklyn, par exemple, dans le quartier de Bushwik, Joseph Ficalora, un jeune homme a décidé de repeindre tous les murs de son quartier. Il avait besoin de rendre son monde plus beau. En 2011, il crée le projet Bushwick Collective et convainc les propriétaires des bâtiments du quartier de le laisser repeindre les façades de briques de leurs entrepôts. Des artistes du monde entier se joignent au mouvement. Leur liberté est totale, à condition que leurs œuvres ne soient ni offensantes, ni politiques.
En introduisant l’art dans ce quartier marqué par la violence et la criminalité, qui n’avait jusque là que très peu accès à la culture, il l’a transformé. Bushwick est même devenu, depuis quelques années, l’un des quartiers les plus branchés de la ville, une référence en matière de culture underground. Chaque année, au moins de juin, un festival y célèbre le street art : le Bushwick Collective Block Party.
http://thebushwickcollective.com/
The Billboard Creative
Cette ONG de Los Angeles transforme les panneaux d’affichage en sites d’art public. Leur objectif est double: ils veulent aider les artistes émergents généralement sous-représentés à se faire connaître en leur offrant une large exposition. Ils veulent aussi rendre l’art accessible à tous en l’affichant sur les nombreux panneaux d’affichage qui peuplent les villes
http://www.thebillboardcreative.com/
Glimpse
Ce collectif anglais a recouvert les murs d’une station de métro londonienne par des photos de chats. Leur objectif avec cette opération appelée ‘Cats, nots Ads’ était de créer un moment de joie et de curiosité pour les utilisateurs du métro, de sortir les gens de leur quotidien, de leur faire lever les yeux et de les surprendre. Des milliers de visiteurs se sont pressés pour venir admirer l’initiative, ils en ont profité pour échanger autour de cette idée so British.
« Nous avons été particulièrement heureux d’entendre le commentaire d’un visiteur de Clapham, explique le collectif : « Vous avez fait quelque chose de bien dans un monde qui en a vraiment besoin maintenant. »
https://weglimpse.co/projects/c-a-t-s/
Ces projets qui avaient pour but d’éveiller les consciences, de transformer un quartier ou encore d’apporter l’art dans la rue ont été une source d’inspiration pour Marie et Oliver, le point de départ d’une réflexion qu’ils ont voulu amener plus loin. « Toutes ces initiatives nous ont beaucoup inspiré mais c’était essentiellement des opérations one shot, faute de moyens suffisants pour les perpétuer. On aimerait pérenniser ce modèle et le généraliser. »
Demain, qui sait, la publicité disparaîtra peut-être de l’espace urbain au profit d’œuvres d’art élevant les esprits et favorisant les échanges ?