Les détritivores, c’est une association bordelaise qui collecte les biodéchets de restaurateurs et commerçants locaux afin de les transformer en compost. Leur objectif : oser le zéro-déchet dans la restauration bordelaise, participer activement au désencombrement des décharges et incinérateurs de la région et créer des emplois solidaires. Pour nous raconter leur histoire, nous avons rencontré Lucie, porteuse du projet depuis 2016.

Les détritivores, dans la nature, ce sont de petits organismes naturellement présents dans la terre qui se nourrissent de détritus d’origines animales ou végétales. Leur rôle est essentiel puisqu’ils transforment les matériaux organiques et leur donnent une nouvelle vie. À Bordeaux, ils recyclent aussi les biodéchets des restaurateurs en leur évitant de finir brûlés ou ensevelis et en les transformant en un compost de grande qualité qui favorisera à son tour l’apparition de la vie.

Au départ, un engagement personnel

L’idée des Détritivores, comme c’est le cas de presque toutes les bonnes idées, est née d’un simple constat : il y a, sur la rive droite de Bordeaux, Le Magasin Général, le plus grand grand restaurant bio de France qui sert 400 couverts par jour. Et 400 couverts, ça génère beaucoup de biodéchets qui n’étaient au départ pas valorisés et partaient donc rejoindre tous les autres, à la poubelle, comme c’est le cas dans la plupart des restaurants.

Sauf que Le Magasin Général, ce n’est pas n’importe quel restaurant, c’est le restaurant de Darwin, écosystème pionnier en matière de transition écologique, et ce gaspillage de nourriture ne convenait pas à Jean-Marc Gancille, son fondateur.

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« Il était pour lui impensable que toutes ces denrées alimentaires partent à la poubelle. Il voulait donc trouver une solution sachant qu’il ne souhaitait pas les confier à un grand groupe car, pour lui, il y a un contre-sens total à envoyer très loin des déchets pour les traiter. L’empreinte carbone de l’opération va à l’encontre de la volonté initiale qui est avant tout écologique. Pour lui, le traitement devait donc forcément être effectué localement, in situ ou à proximité. Il a donc créé une plateforme de compostage pour traiter lui-même ses biodéchets et les valoriser dans le potager de Darwin. »

Pour comprendre cet engagement, il faut replacer le projet des Détritivores dans son contexte, l’écosystème Darwin, présenté ici par ses fondateurs pour The Origin Of Spaces :

Transformer une démarche personnelle en projet collectif

En janvier 2016, quelques mois après la mise en place de cette première plateforme de compostage, la loi oblige tous les restaurateurs générant plus de 10 tonnes de biodéchets par an à mettre en place un tri afin de les valoriser. La démarche personnelle de Jean-Marc Gancille devient donc une obligation légale que beaucoup d’autres restaurateurs servant plus de 150 couverts par jour vont devoir suivre à leur tour.

« Jean-Marc s’est donc dit qu’il pourrait professionnaliser sa démarche au départ personnelle. Il s’est associé avec un entrepreneur social, Frédéric Petit, directeur d’une entreprise adaptée qui s’appelle Elise Atlantique et qui propose une collecte de papiers de bureaux. Ensemble, ils ont créé une entreprise sociale qui propose un service de collecte et de valorisation des biodéchets aux restaurateurs de Bordeaux. »

L’association a été créée au cours de l’été 2015. Aujourd’hui, les Détritivores collectent une quarantaine de restaurants dans la ville et autour de Bordeaux.

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L’art des maîtres-composteurs

Le processus de compostage est complexe car il ne peut se faire correctement que dans certaines conditions. À leur arrivée sur la micro-plateforme, les biodéchets sont mélangés à de la fine de criblage (des copeaux de bois) pour former un mélange suffisamment riche en azote et en carbone. Cette matière fermente ensuite dans des containers de bois pendant 6 à 8 semaines. On obtient alors un compost de grande qualité qui constitue un amendement 100% naturel, sans aucun intrant chimique, permettant d’éviter l’utilisation d’engrais tout en nourrissant le sol tout aussi efficacement.

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On peut composter des déchets bio comme non-bio, cela n’aura aucune incidence sur la qualité du compost final. « Si on ne récupérait que du bio, on aurait du mal à trouver des clients ! Pendant le process de compostage, il y a une forte montée en température (jusqu’à 70°C) qui va détruire les pathogènes mais aussi la plupart des pesticides. »

Le compost est utilisé pour amender la terre du potager de Darwin. Il est également mis à disposition des particuliers ou professionnels qui en ont besoin. N’importe qui peut se rendre à Darwin et repartir avec son bac de compost. Les Détritivores se proposent aussi de vous apprendre à composter dans les règles de l’art. Il faut pour cela appeler Nora.

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Le mode de fonctionnement des Détritivores

Une entreprise sociale

Par définition, une entreprise sociale est une entreprise dont l’objectif social est la raison d’être. En tant qu’entreprise sociale, les Détritivores met donc son efficacité économique au service de l’intérêt général.

« On est dans une démarche sociale et écologique. Tous nos collecteurs et opérateurs de compostage sont des personnes en grande difficulté sociale et professionnelle d’accès à l’emploi, notamment des travailleurs handicapés. Et le résultat obtenu à l’issue de tout notre travail de collecte et de traitement, on le met à disposition des jardiniers en espérant que cela permette de limiter l’utilisation de produits chimiques mauvais pour l’environnement. »

Les Détritivores facturent leur service de collecte et de traitement à leurs clients restaurateurs. Ils conviennent d’une fréquence de collecte adaptée à chacun d’entre eux, avec un principe de dépôt d’un bac vide contre un bac plein. « Pour les restaurateurs qui font appel à nos services, travailler avec nous, c’est aussi un engagement environnemental et social. Cela suppose de faire un tri de leurs déchets, c’est donc un travail supplémentaire qui représente un coût. Cela dit, les déchets que nous collectons n’ont pas à l’être par leurs autres prestataires, or, dans un restaurant, la part de biodéchets est d’environ 50% donc cela réduit considérablement le coût d’enlèvement des autres déchets.»

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Demain, une collecte de tous les biodéchets

Les particuliers et la loi de transition énergétique

On estime que les biodéchets représentent 30% de tous les déchets générés par un foyer. Or s’il est possible de faire son propre compost quand on vit à la campagne, en ville c’est beaucoup plus compliqué. D’autant que cela ne doit pas être fait n’importe comment car des biodéchets mal gérés peuvent présenter un risque pour la santé et l’environnement.

« On reçoit chaque semaine des appels de particuliers nous demandant quoi faire de leur biodéchets et pour l’instant, on n’a malheureusement pas de solutions à leur proposer ! On pourrait imaginer un système de bennes installées dans la ville, mais qui paie ? On estime que la collecte des biodéchets des particuliers doit être soutenue par la ville. »

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La loi de transition énergétique prévoit que tous les particuliers devront bénéficier d’une solution pratique de tri à la source de leurs biodéchets d’ici 2025. Des pays comme l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne ou la Suisse ont déjà mis en place un tel système avec succès. Il est donc possible d’en faire autant en France. Il faut pour cela une volonté politique, notamment au niveau local.

« Ailleurs, dans le Libournais ou le Médoc, ils ont une collecte de biodéchets en porte-à-porte. À Bordeaux, non. On a fait des propositions à Bordeaux Métropole pour mener des essais dans certains quartiers mais la collectivité n’est pas réceptive. Pourtant, c’est une activité créatrice d’emplois et c’est un vrai projet d’avenir. D’autant plus que ce sera bientôt une obligation légale. Il faut donc s’en préoccuper maintenant parce que 2025, c’est demain ! »

En attendant, Les Détritivores font tout pour faire bouger les choses et pallier au manque de solutions disponibles. Ils proposent notamment de développer une appli dédiée aux particuliers désirant traiter leurs biodéchets. L’appli, “Toc Toc Compost” , mettra en relation les voisins qui trient leur biodéchets et ceux qui disposent d’un composteur. Vous pouvez d’ailleurs les aider à concrétiser ce projet en le soutenant ici :

https://www.monprojetpourlaplanete.gouv.fr/projects/plan-climat/collect/depot-des-projets/proposals/toc-toc-compost

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L’éducation des futures générations

En matière de tri des déchets, les choses évoluent encore trop lentement, même si chacun s’accorde à dire que c’est le premier des engagements écologiques à tenir. Non seulement il n’est pas fait systématiquement mais quand il est fait, c’est un peu n’importe comment.

« Aujourd’hui, seuls 7% du tri des poubelles vertes est bien fait à Bordeaux. C’est dérisoire. Le changement passera par les nouvelles générations. On collecte quelques écoles et les poubelles les mieux triées, c’est celle des enfants. Elles sont impeccables. Parce que dès le départ, ils ont compris l’enjeu. On leur a imposé du jour au lendemain de trier leur plateau, on leur a dit qu’on ferait du compost avec leurs biodéchets et ils s’y plient bien volontiers, en étant content de le faire parce qu’ils savent pourquoi. Ce sont les enfants qui pourront vraiment changer les choses. On a d’ailleurs tout un volet d’éducation, on est prestataire de sensibilisation. On va rencontrer toutes les mairies de Bordeaux métropole pour organiser des ateliers, pendant les repas et en classe. Les enfants sont toujours très réceptifs. »

La démarche est d’autant plus importante que les enfants deviennent des prescripteurs de ces bonnes pratiques auprès de leur entourage familial.

« Et bizarrement, le pire du tri des biodéchets, c’est les restaurants universitaires. Pourquoi ? C’est un mystère. Quand on est allé à leur rencontre, on n’a senti aucune curiosité de leur part. Ils nous disaient qu’ils allaient le faire, mais sans grand enthousiasme et le lendemain, quand on venait collecter leurs bacs, c’était une catastrophe. On retrouvait de tout dedans. »

Est-ce une question de génération ? De sensibilisation insuffisante ? Il faut espérer qu’en vieillissant, leur conscience écologique s’éveille. Il faut surtout oeuvrer pour que les plus jeunes, si impliqués et passionnés aujourd’hui, le restent demain. Eux savent qu’on ne peut plus faire semblant.

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À l’avenir…

Parvenir à valoriser la production

« On aimerait pouvoir générer des bénéfices afin de les réinvestir dans le projet. Pour cela, il faut parvenir à valoriser notre compost. Or, le compost a une valeur économique vraiment minime : 10€ la tonne. »

C’est une aberration quand on sait qu’il fait exactement le même boulot que les engrais qui eux, coûtent très chers, mais polluent les sols. En revanche, lorsque le compost a été tamisé et mis en sac, il a de la valeur. En d’autres termes, c’est en créant du déchet supplémentaire (son emballage) qu’on augmente sa valeur.

« Le dilemme consiste donc à trouver une façon de valoriser le compost sans créer de déchets supplémentaires. Sachant qu’on aimerait que tout reste local : la collecte, le traitement, la redistribution. Le destinataire idéal de ce compost, pour nous, ce sont les citadins qui ont un jardin ou quelques jardinières sur leur balcon et qui ont besoin d’amender la terre qu’ils achètent, mais aussi les jardins partagés.»

En s’adressant à ces personnes-là, qui sont peut-être clientes des restaurateurs travaillant avec les Détritivores, la démarche s’inscrit concrètement dans un principe d’économie circulaire.

L’essaimage

Les Détritivores n’ont pas pour objectif de créer leurs propres filiales un peu partout en France. En revanche, si d’autres personnes souhaitent mettre en place Les Détritivores dans d’autres villes, ils sont prêts à les soutenir et à les accompagner, dans la mesure où leurs valeurs se rejoignent.

« Il faut que ce soit des projets territoriaux, portés par des gens qui connaissent leur territoire et qui partagent les mêmes valeurs que nous. On ne doit pas sortir de notre éthique première et les Détritivores qui pourraient se développer ailleurs doivent avoir la même. Aujourd’hui, on a des porteurs de projets qui sont en train de mettre en place les Détritivores à Lyon. »

Lucie, maître-composteur et porteuse du projet Les Détritivores

Lucie Ouvrard porte le projet les Détritivores depuis l’été 2016. Elle le développe, l’incarne et le représente dans diverses réunions publiques.

« J’ai fait des études dans le secteur du développement durable, j’ai ensuite travaillé dans des collectivités. D’abord en ville puis dans le milieu rural. J’ai été un peu déçue par leur manque de proactivité, j’ai donc voulu monter ma propre structure puis j’ai entendu parler des Détritivores. Je me suis présentée à Jean-Marc Gancille en lui disant, « bonjour, je suis Lucie, je suis maître-composteur. »

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Ci-dessous, Lucie avec Afrim, le premier salarié en insertion des Détritivores :

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Vous pouvez retrouver les Détritivores à Darwin, sur Facebook, sur leur site ou sur Instagram…

Et pour les soutenir, c’est ici…