Le 180, c’est un lieu de concert, d’évènement et de résidence artistique installé près d’un village du sud-ouest, entre Bordeaux et Toulouse. Là, en pleine campagne, dans un décor bucolique, une scène dont les installations n’ont rien à envier aux salles citadines accueille chaque semaine des artistes, parfois locaux, parfois venus de l’autre bout du monde, pour des concerts qui ravissent les habitants du village et de toute la région.
Ce projet audacieux, c’est celui de Sandrine et Eric Ginhac qui ont quitté leur vie parisienne pour venir s’installer dans une grande propriété du Lot-et-Garonne et transformer un bâtiment rural en un véritable espace culturel. Meanwhile a eu le plaisir de les rencontrer chez eux, au Château Rouge…
Au départ, une envie de changement
Le point de départ de cette aventure, c’est d’abord une envie de changer de vie, de quitter Paris pour offrir à leur fille alors âgée de 2 ans un cadre de vie idéal pour grandir. C’est aussi une envie de liberté, de ne plus subir les contraintes de leurs employeurs respectifs pour enfin faire les choses à leur manière.
Auparavant, tous deux travaillaient dans l’évènementiel. Eric était régisseur et musicien. Sandrine travaillait dans la communication pour des établissements publics et des syndicats. Leurs savoir-faire étaient parfaitement complémentaires. Mélomanes, passionnés de culture, ils voulaient créer un endroit qui leur ressemble.
« On savait qu’on avait envie de faire quelque chose autour de la musique. L’idée n’était pas de découvrir un nouveau métier mais de créer un lieu sur la base de nos compétences respectives. »
Le choix du sud-ouest s’est imposé naturellement, pour des raisons familiales et parce qu’ils aiment cette région. Après un été passé à la sillonner, ils découvrent enfin l’endroit parfait pour accueillir leur projet.
« On avait un cahier des charges très précis concernant le cadre de vie, la configuration de la maison d’habitation et de la future salle. Quand on a trouvé la maison, on a bien étudié l’environnement et le cadre de vie, on a découvert un joli village, dynamique, offrant tous les services dont on avait besoin, avec une municipalité bienveillante et ouverte à notre projet. »
Bien sûr, quand ils acquièrent la propriété, le potentiel est là mais tout reste à créer. Que ce soit dans le château, qu’ils transformeront en habitation et en chambres d’hôtes, ou dans la future salle de concert qui n’est alors qu’une grande dépendance absolument pas habilitée à recevoir du public. Et pour cause, dans ce lieu, il n’y avait pas d’eau, pas d’électricité, pas de portes, pas de fenêtres et de la terre battue au sol.
Avant tout, il a donc fallu faire contrôler la structure et l’état général du bâtiment. Les travaux ont ensuite commencé : monter des cloisons, en enlever d’autres, couler une dalle de béton, fabriquer des portes et des fenêtres, créer un bar, une scène, des loges, des toilettes, installer une régie, équiper la salle de matériel professionnel, travailler la bonne acoustique du lieu… le tout en s’assurant de la mise aux normes. Un travail long et fastidieux avec des contrôles, de nombreuses règles à respecter, des dossiers techniques à monter, etc.
Après 2 ans de travaux, le 180 a ouvert ses portes au printemps 2016. Depuis, 2 années se sont écoulées et la salle a déjà accueilli près de 200 artistes et des milliers de spectateurs.
La philosophie du 180
« Notre but, c’est de proposer une programmation musicale de qualité à des gens qui n’ont pas forcément l’opportunité ou même l’envie de consommer ce type de produits, grâce à des artistes qu’on a envie de soutenir, qui ne sont pas forcément connus mais qui ont un véritable talent. »
Une programmation exigeante
« À la campagne, les gens sortent peu le soir. Quand on crée un lieu comme le 180, le premier défi est donc de changer leurs habitudes en les amenant à préférer un concert à leur programme télé habituel. »
La programmation prend en compte ce besoin de rassurer, d’inviter à découvrir un type de lieu que la population n’a pas l’habitude de fréquenter en proposant des concerts éclectiques qu’ils sont sûrs d’apprécier. La salle propose donc des artistes régionaux tout comme des artistes plus connus. Le 180 a ainsi accueilli Les Hurlements d’Léo, Elysian Fields, Troy Von Balthazar, Ropoporose ou encore Natasha Atlas. Cette notoriété attire également des gens des agglomérations alentours qui ne trouvent pas en ville la même expérience qu’au 180.
« Au début, on accueillait 20-25 personnes par concert. Aujourd’hui, il y en a une centaine. En milieu rural, c’est un gage de réussite. Ça veut dire que les gens sont curieux, ouverts, qu’ils ont envie de découvrir de nouvelles choses. »
En faisant sortir les gens de chez eux, en leur donnant envie de s’ouvrir au monde grâce à la musique et au spectacle vivant, on attise leur curiosité, on leur permet de rencontrer des artistes de tous horizons et, ce faisant, on recrée un lien social indispensable.
Wallace en concert au 180, 16 décembre 2017
Les hurlements d’Léo en concert au 180, 16 décembre 2017
Un lieu de rencontre et de partage
« On voulait créer un espace de rencontre et de partage autant qu’une salle de concert, un lieu accueillant, pas intimidant, avec une tarification accessible, gratuite pour les enfants. En ville, on vient pour l’affiche. De toute façon, des salles, y’en a 50. Ici, les gens viennent pour l’expérience, pour le lieu en lui-même. Ils ont l’impression d’arriver dans un environnement chaleureux, où on se sent bien, ce qui permet de se mettre dans de bonnes conditions d’écoute. »
Car le 180 est un endroit cosy où l’on est confortablement installé : il y a du bois, des plaids et des tapis, des nappes sur les tables, des fauteuils pour s’asseoir, on boit du bon vin dans de vrais verres, on consomme une restauration légère composée de produits du terroir fabriqués localement. Il y a aussi une petite boutique installée près du piano à queue, avec des disques et des livres à découvrir pour qui veut élargir son horizon culturel.
« Certains viennent d’abord pour la convivialité puis, petit à petit, ils découvrent un univers qu’ils ne connaissent pas, ça ouvre une fenêtre sur une forme de culture à laquelle ils n’accédaient pas avant. Ils viennent quelque soit l’affiche, ils nous font confiance. L’autre jour, on a proposé un concert très rock, il y avait un couple de retraités au début un peu surpris qui est finalement venu nous dire qu’ils avaient apprécié. C’est pourtant un style de musique qu’ils n’avaient jamais dû écouter avant et qu’ils n’auraient jamais pensé venir voir en concert ! »
Pour Sandrine et Eric, c’est la démonstration qu’il ne faut pas hésiter à proposer des choses pointues et exigeantes, que ce soit pour les adultes ou les enfants. C’est en ne faisant aucune concession sur la qualité que petit à petit, les choses bougent. Bien sûr, cela prend du temps de changer de vieilles habitudes, mais le fait de proposer de la qualité nivelle vers le haut.
Une véritable salle de spectacle
« Quand on crée une salle de concert dans un bâtiment rénové en pleine campagne, on se heurte au cliché « ce sont des amateurs qui font des petits concerts au fond d’une grange ». Or, bien sûr, c’est faux. Le 180, c’est un bâtiment ERP, avec une vraie scène qui accueille régulièrement des artistes tournant avec des cahiers des charges très stricts, le matériel est pro, le son est super bon, il y a des loges pour les artistes, etc. Bref, on est un véritable espace d’accueil du public en milieu rural. »
Le fait d’accueillir régulièrement des artistes de renom qui pour certains font des tournées mondiales aide peu à peu à venir à bout de cette image et les artistes ajoutent de plus en plus volontiers le 180 à leur calendrier de tournée.
« On a des demandes d’artistes presque tous les jours. Des groupes à la renommée installée veulent aujourd’hui venir jouer au 180 dans des conditions qu’ils n’accepteraient pas ailleurs, simplement parce que le lieu leur plaît. Aujourd’hui c’est des tourneurs et des managers qui nous contactent, ils connaissent la qualité du son et du matériel, ils savent que ce type de lieu est rare, donc quand ils tournent dans la région, ils aiment venir ici. »
Penser de manière locale
Dans les grandes villes, les structures communiquent essentiellement par internet. À la campagne, la création d’une notoriété passe par les journaux. Pour développer un projet culturel, le soutien des médias locaux est donc indispensable.
« Ici, c’est la presse locale qui fait un travail de prescription. Quand on veut sortir, on regarde dans le journal. Et pour le public, si c’est dans le journal, c’est forcément qualitatif. Avec le temps, on a créé de vrais liens avec les journalistes, ils nous considèrent aujourd’hui comme des acteurs incontournables de la vie culturelle locale. Pour nous c’est essentiel mais c’est aussi un vrai plaisir car il y a de l’échange et beaucoup de bienveillance dans ces rencontres.»
De même, alors qu’en ville les acteurs culturels ont peu de relation avec les pouvoirs politiques, en milieu rural, le soutien de la commune est central pour permettre ce type de projet.
« On a toujours tout fait de concert avec la mairie. Avant même d’acheter, on leur a présenté le projet, on leur a demandé ce qu’ils en pensaient. Grâce à ce dialogue permanent et cette transparence, ils ont tout de suite vu le fait d’accueillir un nouveau lieu culturel comme une opportunité pour la commune. »
Fédérer les acteurs locaux
De nombreux acteurs travaillent depuis longtemps pour développer l’offre culturelle dans le Lot-et-Garonne. L’idée, pour Sandrine et Eric, c’est de fédérer toutes ces forces vives.
« Pour nous, il n’y a pas de concurrence. Même si on propose des choses le même soir, c’est stimulant, on ne s’enlève rien, au contraire. Si l’offre s’étoffe, s’il se passe plein de choses, alors on en parle autour de soi et peu à peu, les gens prennent l’habitude de sortir, ça devient naturel. »
Car bien sûr, il faut s’y mettre à plusieurs pour changer les choses en profondeur, modifier des habitudes solidement ancrées, permettre aux gens de réaliser qu’eux aussi ont accès à la culture et peuvent aller voir des concerts tous les week-ends s’ils en ont envie.
« Notre moteur, c’est de voir le public heureux de passer un bon moment, découvrir des groupes qu’ils n’auraient jamais connu autrement, voir des gens venir seuls pour rencontrer du monde, accueillir des artistes qui ont peu de notoriété, les héberger au château à côté, faire connaissance avec eux. Les choses se font de manière très simple, on aime que les gens viennent à nous tout comme on aime aller vers les autres. »
Retrouvez le 180 sur leur site
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Ou en vrai : Les Aumonts – 47180 Sainte-Bazeille
(cc) Photos par Eric Loréal
