La Régulière, c’est avant tout une librairie. Une librairie, galerie, buvette où se déroulent aussi des ateliers. Un endroit unique, au coeur de la Goutte d’Or à Paris, où les étals pleins de beaux livres sont une invitation à la lecture et au partage.
On y passerait des heures, dans cet endroit où tout est beau. Des heures à lire, à regarder, à hésiter entre celui-ci et celui-là, à feuilleter. Et ça tombe plutôt bien parce que La Régulière, c’est aussi un lieu où chacun peut prendre le temps de boire un verre, de discuter, de goûter ou simplement de flâner en observant, à travers les grandes baies vitrées, la vie de quartier.
Pour en savoir plus sur ce lieu hautement inspirant, Meanwhile a rencontré Julia Mahler et Alice Schneider, les créatrices de La Régulière. Elles ont quitté Strasbourg en 2008 pour venir s’installer à Paris, dans ce quartier hétéroclite, cosmopolite et généreux où elles ont voulu implanter leur librairie, 8 ans après leur arrivée.
Entre temps, elles ont toutes deux étudié à l’école Estienne, Julia en Reliure-Gravure, Alice en Communication Graphique. Julia s’est spécialisée dans les métiers du livre et est devenue libraire, Alice a travaillé dans le graphisme textile et l’illustration.
La passion du livre et de l’image
Amies d’enfance, elles partagent une passion pour les livres, notamment les beaux livres illustrés. Elles ont toujours rêvé de créer ensemble une librairie, parce que c’était le métier de Julia et que ce sont des lieux qu’elles aiment par-dessus tout. Mais avant de réaliser ce rêve, elles ont suivi des chemins parallèles, chacune dans son univers, attendant qu’un déclic leur indique que le bon moment était arrivé.
Ce déclic se produit lorsque Julia tombe sur l’annonce d’une librairie vendant son fonds de commerce. Toutes deux en sont sûres, c’est ça, l’opportunité qu’elles attendaient… avant de réaliser, en allant visiter la librairie, que ça ne correspondait absolument pas à ce qu’elles souhaitaient créer. Cette déception s’est transformée en déclencheur et leur a permis de mieux définir les contours de leur projet.
« On s’est rendu compte qu’on ne voulait pas du tout récupérer un fonds de commerce, une identité, des meubles, une clientèle. On avait envie de créer un lieu de vie, une librairie où les gens puissent rester boire un verre, discuter, un endroit pas trop impressionnant où on ose facilement entrer. On voulait aussi que ce soit dans le quartier où on vit depuis qu’on est arrivé à Paris. On voulait faire quelque chose qui nous ressemble, partir de zéro. »
Un quartier unique, à l’identité forte
Pour comprendre leur projet, il faut présenter ce quartier de la Goutte d’or, à la réputation sulfureuse qui fait encore peur à bien des parisiens qui n’y ont bien souvent jamais mis les pieds. Ce quartier, c’est un voyage à lui tout seul, un endroit populaire, multi-ethnique, avec son célèbre marché africain plein de produits du bout du monde. Et malgré la gentrification, l’identité historique de ces quelques rues reste très forte.
« Certaines personnes sont surprises qu’on ait voulu implanter une librairie dans un quartier si populaire. Nous on sentait qu’il y avait une demande. Julia travaillait au 104* et elle voyait souvent des personnes de ce quartier marcher jusque là-bas pour trouver une librairie. Ça semble absurde dans une ville comme Paris qui possède une très forte densité de librairies. »
Elles se sont donc mises à la recherche du lieu idéal grâce à un site recensant tous les locaux gérés par les bailleurs sociaux de la ville de Paris. Et rapidement, elles ont repéré l’endroit qu’il leur fallait, en plein coeur de la Goutte d’or : « C’était blanc, lumineux, propre, avec de grandes baies vitrées qui laissaient entrer la lumière et suffisamment d’espace pour créer les 2 univers de façon aérée. Quand on l’a visité, on s’est dit « il nous le faut » et on a tout donné pour l’avoir ! »
L’attribution des locaux gérés par la ville de Paris se fait sur dossier, selon des critères prenant en compte la dimension sociale, culturelle et humaine du projet autant que son aspect lucratif.
Concernant le financement, Julia et Alice ont pu contracter un prêt d’honneur auprès de Paris Initiatives Entreprises, grâce un dossier démontrant cette fois-ci la viabilité économique de leur projet. Ce soutien de Paris Initiatives Entreprises les a aidés à obtenir un prêt bancaire. Une campagne de crowdfunding est venue compléter le financement, permettant d’acheter le matériel, la décoration et le mobilier de la librairie, designé par Johanna Lapray et Hugo l’Ahellec. Quant au design graphique et à l’identité visuelle de la Régulière, ils ont été réalisés par le studio Byzance, fondée par Laïs Duruy et Claire Le Bouteiller.
En octobre 2016, après des mois de travail acharné, la Régulière a ouvert ses portes.
Rester généraliste tout en affirmant son identité
En créant La Régulière, Julia et Alice souhaitaient non seulement offrir aux gens du quartier un endroit où se retrouver tout en invitant chacun à la lecture, mais elles voulaient aussi affirmer leurs valeurs et leur identité en mettant en avant de jeunes talents ou de petites maisons d’édition.
Chez elles, on trouve donc les grands classiques comme Zola ou Flaubert, des polars, de la littérature française et étrangère ou des livres de sciences humaines, mais on trouve également une large sélection de magnifiques ouvrages illustrés, des BD qui sortent des sentiers battus et un rayon jeunesse plein de petits chefs d’oeuvres.
« À travers nos choix éditoriaux, on présente des modes de pensée qu’on a envie de défendre, on met en avant des artistes émergents, des petites maisons d’éditions qui sont parfois des amis ou de nouveaux auteurs, mais on veut aussi mettre à l’aise ceux qui rentrent pour la première fois dans une librairie, c’est pour ça qu’on a toute la collection de folio à 2€, des livres de poche, des petites éditions pas chères. On veut que chacun puisse trouver ce qui lui convient. »
S’adresser à la fois aux lecteurs débutants, aux passionnés de BD, aux parents en quête d’ouvrages originaux à mettre entre les mains de leurs bambins, aux étudiants en psychologie, aux adeptes de SF ou aux lycéens qui veulent se procurer la liste de livres fournie par leur professeur, le tout dans un espace restreint, c’est le pari réussi de Julia et Alice.
Patience et bienveillance
En un an, elles ont vu les gens du quartier se familiariser avec ce nouvel endroit. D’abord, ils regardaient, intrigués, en passant devant les baies vitrées puis, petit à petit, ils ont osé entrer.
« Il faut savoir être patient. C’est illusoire de croire que d’un seul coup, tout le monde va venir. Mais on est ouvert tous les jours, on est ouvert sur la rue, les gens nous connaissent, on a une très bonne entente avec les commerçants. On organise plein d’activités et d’ateliers en collaboration avec des associations du quartier car seuls, les gens sont souvent trop impressionnés, ne serait-ce que pour entrer ou demander des conseils aux libraires. »
Il s’agit donc d’inviter les gens à entrer subtilement, en douceur, en s’appuyant sur l’existant, en faisant venir les enfants des écoles du quartier qui, plus tard, reviendront peut-être avec leurs parents. Cela passe aussi par des ateliers de lecture ou d’écriture, des séances de dédicaces pour permettre aux gens de rencontrer des auteurs, l’installation d’expositions, la création d’évènements de toutes sortes qui attirent et incitent les passants à se joindre au mouvement.
« On a réalisé un atelier d’écriture avec une petite maison d’édition. Il y a eu 2 gagnants, 1 adulte, 1 enfant. C’était des gens qui ne venaient pas forcément, en revanche ils ont participé au concours d’écriture et ça leur a permis d’entrer ici. Et puis l’enfant a eu son livre édité dans la petite maison d’édition, il était heureux et super fier ! »
Mixer et enrichir sans jamais gommer
Malgré son jeune âge, La Régulière a déjà apporté du changement dans le quartier. Par exemple, la plupart des cafés n’étaient jusque là fréquentés que par des hommes et pour une femme, entrer dans un café où il n’y a que des hommes, c’est compliqué. La Régulière offre aux femmes un endroit où sortir : « Un jour, les animatrices de l’association ADOS** sont venues avec des mères et leurs enfants. Pour beaucoup, c’était la première fois de leur vie qu’elles rentraient dans un café. Maintenant, elles ont un endroit où se retrouver à l’extérieur de chez elles. Elles viennent d’abord prendre un goûter avec leurs enfants après l’école, puis boire un thé et, petit à petit, elles osent aller du côté de la librairie. »
Peu à peu, le quartier s’enrichit, élargit son offre de services et de commerces et cesse de n’être qu’un quartier dortoir où la plupart des habitants ne rentrent que le soir. De plus en plus, une vie de quartier se développe pour tous. Ça change aussi le regard des habitants d’autres quartiers : « Un monsieur qui habite ici depuis très longtemps a accompagné sa fille à l’un de nos ateliers, il y avait aussi une famille qui venait du 3e arrondissement, il était surpris mais trouvait génial que des gens d’autres quartiers viennent jusqu’ici. Ça démystifie la Goutte d’or. »
Pourtant, il ne s’agit en aucun cas d’effacer l’identité de ce quartier, de remettre en question son histoire ou de faire fuir ses habitants originels, bien au contraire : « On n’est pas en opposition, on veut au contraire enrichir l’offre en cohabitant avec l’existant. On ne veut rien gommer, on veut plutôt agrandir ce que ce quartier a de chouette à proposer. »
D’ailleurs, ce développement de la vie de quartier, elles ne sont pas les seules à le souhaiter et à l’entreprendre : « Il y a l’Olympic café qui organise des concerts depuis bien plus longtemps que nous, il y a aussi de plus en plus d’airbnb qui attirent plein de gens d’ailleurs. On est arrivé au début de la vague mais ce quartier va continuer à évoluer tout en conservant son identité. Bientôt, un grand centre consacré aux musiques du monde va ouvrir ses portes juste en bas de la rue, c’est un énorme projet et ça, ça va vraiment changer les choses. La vague, c’est eux ! »
Beaucoup de passion, un état d’esprit libre et ouvert sur le monde, de la bienveillance, de belles images à lire et à savourer, de la littérature à découvrir en partageant un bon goûter ou une tasse de thé, en toute simplicité, c’est ça, La Régulière. Si vous habitez Paris, courez donc rendre visite à Alice et Julia, au 43 rue Myrha.
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*104 : centre culturel parisien situé à 20 minutes à pied du quartier de la Goutte d’Or. http://www.104.fr/
**association ADOS : association de soutien scolaire dans le 18e arrondissement parisien. http://www.ados-go.org/
Crédit photos : Eric Loréal